La « Baie des Tecks » (Bédéthèque) de Bomel à Namur : un projet très spécifique articulé via une formidable équipe de volontaires épaulée par un solide réseau

Publié le 11 avril, par Françoise Vanesse


Toutes les statistiques le confirment : la bande dessinée occupe une place prédominante au sein du marché du livre, que ce soit chez nos voisins français ou, chez nous, en Fédération Wallonie-Bruxelles où la BD est numéro un des ventes. Dans ce climat foisonnant, le rôle de médiation des bibliothèques est primordial. En effet, outre cette production abondante, voire pléthorique, le secteur de la BD connait actuellement une importante diversification. Bien entendu, le modèle de la série tout public, mangas ou comics, reste toujours bien représenté. Cependant, aux côtés de ces formules désormais classiques, on pointe l’émergence de formes plus novatrices comme les romans graphiques ou des démarches d’éditeurs davantage confidentielles qui ouvrent de nouveaux espaces de création et s’affranchissent résolument des codes traditionnels. Rien d’étonnant, dans ce contexte bouillonnant de créativité et de liberté, de voir apparaître des demandes et des attentes de plus en plus diversifiées et spécifiques de la part des usagers. Celles-ci requièrent forcément, pour le bibliothécaire, une solide connaissance, non seulement de l’ensemble du secteur et de son aspect patrimonial mais surtout de son actualité. Nous sommes parties à la rencontre d’une initiative de valorisation de la BD en Fédération Wallonie-Bruxelles particulièrement originale et gagnante dans son mode de fonctionnement.

La « Baie des Tecks » (Bédéthèque) de Bomel à Namur : un projet très spécifique articulé via une formidable équipe de volontaires épaulée par un solide réseau

La « Baie des Tecks » (Bédéthèque) de Namur, bibliothèque de droit privé spécialisée en bande dessinée, fait partie de ces structures particulièrement actives et innovantes dans le domaine. Voilà déjà plus de 37 ans que cette asbl, née de la passion d’un petit groupe d’amis mordus de BD et emmené par Guy Dehousse, développe un projet spécifique, pointu et très professionnel autour du 9ème art : le tout géré exclusivement par une équipe de volontaires particulièrement motivés, soutenus et accompagnés par le Réseau namurois de Lecture publique et ce, depuis 2009.

Pour mener à bien ses missions, cette bibliothèque atypique qui dispose d’un imposant fonds de BD, d’heures d’ouverture stratégiques dont le dimanche matin, qui draine un public originaire de toutes les provinces de Wallonie, mais également de Bruxelles, et qui met à disposition de créateurs un atelier artistique permanent, a mis en place et ce, depuis son emménagement au cœur du vivifiant espace culturel et associatif des anciens abattoirs de Bomel à Namur, un projet qui, manifestement, fait florès. En effet, plus de 2.000 usagers sont venus emprunter en 2023 dans cette bibliothèque, quelle que soit leur implantation d’inscription sur le réseau Tire-lire géré par la Province de Namur pour un total de plus ou moins quarante-six mille documents.
Si nous devions pointer l’élément fédérateur qui, manifestement, s’avère concluant pour le parcours de cette intéressante initiative de droit privé, nous citerions sans hésiter la culture d’une importante spécificité. Celle-ci semble, en effet, inscrite dans l’ADN de la gestion de la bibliothèque et s’articule autour de trois piliers déterminants.

Un mode de fonctionnement spécifique

Le premier concerne les modalités de fonctionnement de la « Baie des Tecks » : « Une de nos spécificités primordiales est, en effet, la gestion entièrement volontaire de notre bibliothèque », nous livre Éric Dricot, président de l’asbl que nous rencontrons lors de la séance de prêt de ce vendredi 16 heures. A ses côtés : Jacques Thiry, au comptoir de prêt, Cécile Vanhal, occupée à recouvrir très minutieusement les nouveautés et Jean Descy qui, sans perdre de temps, range certains mangas en attendant les premiers lecteurs qui déjà poussent la porte… Cette équipe de volontaires, composée d’une vingtaine de personnes aux profils diversifiés, aux goûts parfois divergents, influe en effet de façon très positive sur le fonctionnement de la bibliothèque et reste un point d’ancrage manifestement décisif.

Un fonds 100% BD

Autre élément capital et spécifique dans la personnalité de cette bibliothèque : l’élaboration du fonds, exclusivement composé de bandes dessinées. Celui-ci est constitué, non seulement grâce aux souhaits dont font part les lecteurs, mais, plus majoritairement, grâce aux attentes diversifiées de cette riche palette de personnalités passionnées. « Les achats se font en effet en fonction des différentes sensibilités de notre équipe de volontaires, ce qui représente une force incontestable », poursuit Éric Dricot. « Notre équipe présente des profils très hétéroclites : de l’amateur de BD plus traditionnelles au passionné en recherche de nouvelles expressions très pointues qui ne se retrouvent pas dans d’autres bibliothèques. Ainsi, personnellement, je suis un féru des classiques et je suis parfois étonné de certaines productions qui rompent avec ces modèles. Mais, nous souhaitons rester ouverts aux différentes sensibilités et approches, que ce soit au niveau du scénario, mais aussi du dessin ou des thèmes abordés. Le tout pour répondre aux différentes attentes de nos usagers ».
Ceux-ci, dans l’ensemble, appartiennent à des tranches d’âges variées. Et, aux côtés des adultes, majoritairement représentés, on note une proportion non négligeable de jeunes et de familles. « Nous consacrons une part croissante de notre énergie au public jeune et les prêts sont gratuits pour les moins de dix-huit ans, vu le règlement unique de prêt mis en place dans toutes les bibliothèques du Réseau namurois ». Parmi ceux-ci, de nombreux adolescents. « La plupart sont en demande de mangas dont nous possédons une collection étoffée mais notre rôle, en tant que bibliothécaires, consiste également à les orienter vers d’autres formes d’expressions pour ne pas ronronner. Ainsi, nous possédons une belle collection de BD en langue étrangère et d’albums sans texte, parfois étonnants à mes yeux mais fort appréciés », conclut Éric Dricot.

Si cette gestion entièrement bénévole offre de nombreux atouts, celle-ci présente, en toute logique, d’inévitables écueils. Premièrement, au niveau de l’équipe, parfois un peu mouvante. Mais également en ce qui concerne la mise sur pied de différents projets que l’équipe souhaiterait développer davantage : comme l’accueil de classes pour des animations ou l’organisation d’expositions très appréciées par le public qu’ils soient usagers ou non. « Tous ces projets sont très intéressants, mais extrêmement chronophages, poursuit notre interlocuteur. Et, en tant que bénévoles, il nous est impossible de faire davantage. Un permanent serait le bienvenu ». Et, tout en parcourant les rayonnages de cette bibliothèque, il est vrai que l’on intègre parfaitement l’ampleur du travail effectué par cette formidable équipe ! Le fonds est très important et sa mise en valeur soignée, parfois grâce à des trucs et astuces dont ces étagères adaptées aux mangas et entièrement conçues par Jean qui a mis ses talents de menuisier au service de la bibliothèque. « Il est vrai que la gestion nous accapare et chaque bénévole preste au moins deux à trois heures par semaine. De plus, les BD sont entièrement recouvertes : il y a une équipe qui vient tous les mardis matin pour, non seulement les plastifier, mais également encoder, étiqueter, cacheter. Les liens avec les responsables du réseau sont également capitaux et il s’agit de veiller à leur transférer nos fichiers afin qu’ils les intègrent au portail provincial ». Pour cette tâche, l’équipe compte sur Cécile, informaticienne de formation.

Le soutien d’un solide réseau

En effet, depuis 2009, « La Baie des Tecks » bénéficie d’un prolongement très porteur à son projet spécifique grâce à son intégration au sein du Réseau namurois de Lecture publique. Une intégration qui apporte une plus-value indéniable au projet de cette bibliothèque de droit privé en termes de visibilité et de reconnaissance légitimée. « La politique d’ouverture à laquelle nous veillons dans l’orientation de nos collections est renforcée grâce à cette intégration », explique Éric Dricot. En effet, la bibliothèque de droit privé bénéficie d’un confortable budget de 10.500 euros, ce qui lui permet de rester en lien avec l’énorme marché BD et ses quelques 5000 titres en français par an ! Et permet de mettre en place les conditions de gratuité pour les jeunes comme le prévoit le règlement financier du Réseau namurois de Lecture publique en limitant l’impact sur les finances de l’ASBL. Enfin, cette intégration d’une bibliothèque spécialisée en BD au sein d’un opérateur direct de Lecture publique révèle les particularités et les richesses du Réseau namurois, dont se félicite d’ailleurs Catherine de Biourge, cheffe de service adjointe du service Bibliothèques de la Ville de Namur : « Les modalités de cette intégration sont multiples et mises en place dans une politique dynamique de mutualisation. Non seulement la Ville apporte un soutien financier dans le cadre d’une convention avec une aide au payement de la location du bâtiment, un soutien à la politique d’acquisition et une prise en charge du matériel informatique et du SIGB. Mais, de plus, la Ville assure la gestion et l’encodage de leur catalogue qui est intégré dans le portail provincial tire-lire.be ainsi que le transfert des documents demandés par les usagers ».
Des usagers d’ailleurs de plus en plus nombreux et originaires de toutes les provinces et qui, grâce à l’important esprit d’ouverture de cette équipe toujours sur le pont, bénéficient, depuis peu, d’une plage horaire supplémentaire : le samedi matin, instaurée dans le but de désengorger celle du dimanche, particulièrement fréquentée… Apparemment, la « Baie des Tecks » a encore de beaux horizons devant elle…