Publié le 23 juin 2022, par
Alors que le conflit en Ukraine a entraîné d’importantes démolitions de bâtiments abritant des archives et documents historiques, nous donnons la parole à Emmanuel Bodart, Chef de service aux Archives de l’Etat à Namur, qui nous livre son regard critique d’historien face à ces événements ainsi que sur les conditions actuelles de conservation.
E.B. Il est vrai que l’impact humanitaire est catastrophique et c’est évidemment le point le plus préoccupant. Néanmoins, nous ne devons pas perdre de vue les conséquences de ces bombardements sur les biens mobiliers et immobiliers. En Ukraine, et plus précisément à Chernihiv dans le nord du pays ainsi qu’à Kharkiv, des sites historiques de conservation archivistique ont été visés, entrainant la démolition totale de documents capitaux pour l’histoire du pays. Malheureusement, de telles disparitions ont été observées dans toutes les guerres…
E.B. Oui, et plus particulièrement lors des deux guerres mondiales pour lesquelles nous disposons d’exemples frappants ! Comme, en 1914, avec la destruction de l’hôtel de ville de Namur ainsi que celui de Dinant, entrainant la disparition d’énormément d’archives appartenant à ces deux villes. Lors de la deuxième guerre mondiale, on se souvient également de l’incendie des bâtiments abritant les archives de l’Etat à Mons ainsi que de Tournai, avec pour conséquence la disparition de tout un pan de l’histoire de la province du Hainaut.
E.B. Certes, la numérisation crée une copie intéressante mais, de façon générale, il faut absolument se garder de croire que cette technique est la solution idéale au problème de conservation ! Ainsi, les procédés utilisés auparavant comme par exemple le double ou le microfilm possédaient des qualités de stabilité bien plus importantes que le fichier numérique.
E.B. En fait, la conservation numérique pose d’importants problèmes d’instabilité car cette technique, par son aspect éphémère et volatile, possède beaucoup moins d’inertie que le papier et exige une veille constante. De façon générale, le grand public pense que la numérisation est la solution de conservation parfaite car, de prime abord, elle prend moins de place. Mais c’est bien entendu un leurre car ce procédé exige une mobilisation considérable, tant sur le plan énergétique qu’humain. Pour citer un exemple, si l’on veut conserver un fichier « Word », il faut veiller à le convertir dans une version qui sera encore lisible dans trente ans. Enfin, en temps de guerre, il est évident que les installations numériques souffrent également et que les cyber-attaques peuvent avoir de graves conséquences très délétères.
E.B. Cette Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé est le premier traité international en cette matière. C’est un consensus signé le 14 mai 1954 à La Haye et conclu à l’initiative et sous l’égide de l’UNESCO. En fait, lorsqu’on évoque cette Convention, on parle du « Bouclier bleu », qui consiste à marquer les bâtiments qui conservent du patrimoine culturel d’un signe distinctif bleu afin qu’ils puissent être évités en cas de bombardements…
E.B. Le problème du faux s’est toujours posé et ce, depuis l’apparition même de l’écrit. Mais il est évident que le contexte de guerres et de conflits est propice à ce type de comportement de propagande, de fabrication de fausses nouvelles, puisqu’il faut maintenir le moral des troupes et tenter de déstabiliser l’ennemi. En fait, ces phénomènes ont existé à toutes les époques.
E.B. Oui, l’époque où le faux était réservé à une catégorie de documents produits dans des scriptorium monastiques est bien entendu révolue ! L’heure du numérique a ouvert la voie à de nouvelles pratiques qui facilitent grandement la production de fausses informations. Non seulement, ces pratiques se répandent dans des domaines de plus en plus variés (photo, vidéo, document écrit) mais, de plus, elles se démocratisent d’une façon fulgurante. En tant que professionnels, nous devons être attentifs à ce phénomène préoccupant. D’où la nécessité de disposer du plus grand nombre de métadonnées et de signes d’authentification qui permettent de préciser dans quel contexte tous ces documents ont été collectés.
E.B. D’un point de vue général, nous préférons miser sur des éléments préventifs au détriment de l’opérationnel quoique, bien évidemment, nous disposons d’un plan d’urgence. Mais, au vu du peu de personnel dont nous disposons, celui-ci serait impossible à mettre en œuvre. En fait, notre bâtiment très récent, inauguré en 2014, spécifiquement pour abriter des archives, est conçu sur un système de doubles bâtiments connexes.
E.B. Concrètement, un premier bâtiment est voué à l’accueil du public et au personnel tandis qu’un second à la conservation des archives. Ce dernier est un véritable bunker où les risques d’incendies sont très minimes grâce à différentes mesures très précises : absence de matériaux inflammables et une conception qui fait la place à de nombreux compartimentages pour précisément éviter la propagation d’un incendie éventuel. Toutes ces dispositions relèvent d’un cahier des charges initial très précis. De façon générale, au niveau de l’organisation des bâtiments, nous relevons du Conseil International des Archives (CIA). Ce Conseil, lié à l’UNESCO et qui rassemble une quantité considérable de services d’archives nationales, émet des avis sur les plans d’urgence dont il est impératif de disposer, sur les normes de préservation des documents ou de construction des bâtiments. En fait, ce CIA tente d’aider l’ensemble de la profession au niveau mondial en abordant tous les aspects du métier. En Belgique, c’est l’Archiviste général du royaume qui siège à cette assemblée.
Emmanuel Bodart
Chef de service
Archives de l’Etat à Namur
Boulevard Cauchy, 41
5000 Namur
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