Publié le 24 août 2009, par
Depuis maintenant presque dix-sept ans, les éditions « Luce Wilquin » éclairent le paysage littéraire francophone. Cette maison d’édition qui entend promouvoir les textes de création écrits par des auteurs de confiance, offre une image atypique car très humaniste du monde de l’édition littéraire. Nous avons rencontré celle qui orchestre et unit ... Luce Wilquin. Calme mais déterminée, cette éditrice de proximité, tout en ayant permis à sa maison de se développer, a su préserver le côté artisanal et personnalisé d’un métier qu’elle envisage avant tout comme une façon de communiquer avec bonheur et passion : avec ses auteurs et ses lecteurs mais aussi avec les différents opérateurs de la grande chaîne du livre...
F.V. Fonder sa propre Maison d’Edition : cela en ferait rêver plus d’un ! En ce qui vous concerne, s’agissait-il d’un projet qui est devenu de plus en plus évident à force de travailler dans le monde de l’édition ou était-ce une façon pour vous de vous engager très concrètement en faveur de la défense de la littérature ?
L.W. Les deux à la fois, je pense. C’est vrai qu’au départ, il y a chez moi un amour de la lecture et de la littérature assez immodéré. Je savais lire dès cinq ans, je dévorais les livres qui m’entouraient et qui faisaient d’ailleurs partie de notre environnement familial.
Ensuite, j’ai fait des études de traductrice et d’interprète de conférence, et c’est donc par la porte de la traduction que je suis entrée dans le monde de l’édition. J’ai commencé mon parcours professionnel en faisant des traductions de livres lorsque j’étais encore étudiante et, de fil en aiguille, j’ai mis le doigt dans l’engrenage de l’édition. Très vite, je me suis trouvée prise tout entière par le métier, car cela me passionnait de voir comment d’un texte on en arrive à un livre, comment tout cela se développe y compris les aspects techniques de l’impression, la réalisation graphique sans oublier la diffusion et la promotion. Après Marabout, j’ai travaillé pour des maisons françaises et suisses. Pendant cette période, j’ai eu la grande chance d’approcher aussi différents secteurs de l’édition, l’édition scientifique, le secteur du livre d’art et du beau livre, l’édition grand public, etc. J’ai eu aussi l’occasion de toucher à toutes les facettes du métier : la rédaction, la coordination puis la direction éditoriale, la promotion, les relations avec la presse, avec les libraires, etc.
F.V. Et puis, à un certain moment, vous avez décidé de faire le pas...
L.W. Oui, à un moment, le besoin d’indépendance s’est fait sentir. J’ai eu envie d’être mon propre patron, de faire ce métier que j’aime. J’ai donc créé ma maison d’édition avec mes économies et sans aucun soutien.
Commence alors le parcours du combattant car cette maison, je la voulais indépendante avec des choix qui me correspondaient. Au début, ce n’est pas évident ! Donc, forcément, j’ai commencé avec des textes que je ne publierais sans doute plus maintenant, mais il faut bien ouvrir la porte et démarrer. Avec le recul, je me dis que c’était finalement déjà bon au départ, car il y a des auteurs du début qui sont toujours là. J’aimerais citer Françoise Houdart dont je vais publier le douzième roman et qui est maintenant un auteur qui a une réelle carrure.
Si le choix des textes n’est pas facile, leur promotion l’est encore moins ! Et autant les portes s’ouvraient partout, y compris les médias, quand je faisais la promotion de livres issus d’importantes maisons d’édition, autant ce fut très dur quand je suis arrivée, moi, avec mes premiers livres...
G.D. Un mot qui résumerait votre projet ?
L.W. Je pense au mot « plaisir ». En fait, je souhaite faire plaisir en me faisant plaisir. Je veux me faire plaisir en publiant de très bons textes, des textes de création, jamais de commande, des textes solides dans le fond et la forme mais qui laissent une porte ouverte et aussi de la place pour le lecteur. J’aime qu’une fois le livre refermé, il puisse encore faire un bout de chemin tout seul, s’il en a l’envie. J’aime les textes à ellipses, avec des plages où le lecteur puisse s’investir.
Le plaisir, je le vois aussi dans les bons rapports que je souhaite entretenir avec les auteurs qui sont chez moi. En général, les auteurs du catalogue s’entendent très bien. Je les réunis au moins une fois par an, certains sont devenus amis entre eux, et il y en a même deux qui ont écrit un roman à quatre mains alors qu’ils écrivaient chacun de leur côté. Et il ne faut jamais oublier de faire plaisir aux lecteurs en leur offrant aussi de beaux objets livres : j’accorde beaucoup d’importance au confort de la lecture et à la dimension artistique des couvertures de mes livres. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être parvenue à développer une image. Des lecteurs se reconnaissent dans mes choix pour tels auteurs ou tels textes. La confiance est là.
F.V. Vous semblez donc avoir une conception très personnelle de votre métier ?
L.W. Une galaxie de métiers plutôt... Je suis là à toutes les étapes. Il y a le travail sur le texte avec l’auteur, c’est cela que je préfère. Avec les jeunes auteurs, j’interviens plus en profondeur, sinon je me contente de suggérer... et toujours au crayon, ça je l’ai appris des éditeurs qui m’ont formée. Montrer ce qui est possible et ne jamais imposer. J’ai l’impression de pousser les auteurs plus loin. C’est ça être éditeur, accompagner les écrivains. Mais on n’échappe pas à la gestion, la comptabilité. Les chiffres font aussi partie de notre métier... Et heureusement aussi, beaucoup, les relations publiques !
G.D. Vous n’avez jamais eu l’envie d’écrire ?
L.W. Bien sûr, c’est un projet que je porte en moi, mais je ne m’octroie pas cette possibilité pour l’instant, car je ne souhaite pas qu’il y ait confusion entre les livres que j’édite et mes propres écrits. Je veux rester à ma place, j’ai un style reconnaissable et je ne veux pas qu’il soit trop prégnant quand je travaille avec les écrivains. Je reste dans la position du traducteur : être au service de l’auteur, se couler dans l’autre mais sans lui imposer quoi que ce soit.
G.D. Combien d’auteurs publient chez vous ?
Sollicitez-vous parfois des auteurs d’autres maisons d’édition ?
L.W. Plus ou moins une centaine d’auteurs publient régulièrement chez moi. Et je ne sollicite jamais des auteurs d’autres structures, car je déteste qu’on le fasse à mon égard. On cherche beaucoup à me prendre des auteurs. Quand cela arrive, ma réaction est partagée. Lorsqu’un auteur part chez Denoël ou Fayard, je suis à la rigueur contente, je me dis que j’ai bien fait mon boulot.
Ailleurs, c’est un autre problème... Donc, je ne vais jamais pêcher des auteurs dans d’autres maisons d’édition. Mais, par contre, et cela est très agréable, il arrive que des auteurs publiés par d’autres maisons me sollicitent, car ils voient que chez moi cela se passe comme ils le souhaiteraient. Mais je ne force jamais, je ne vais jamais les chercher et surtout je ne commande jamais de texte. Il n’y a pas de fabrication. C’est de la création pure, et je laisse venir ceux qui le souhaitent.
G.D. La source continue à s’alimenter ?
L.W. Nous recevons beaucoup de manuscrits par la poste, plusieurs par jour. Il y a un élagage très sévère. Priorité est donnée aux écrivains-maison, ceux que je souhaite suivre et qui désirent continuer avec moi. Nous n’avons donc pas beaucoup de place pour accueillir de nouveaux auteurs. Mais paradoxalement cette année, j’en ai accueilli beaucoup. Je publie vingt-cinq nouveautés par an. Ce chiffre surprend des collègues français de même taille qui trouvent que c’est beaucoup. Mais moi, c’est ma vitesse de croisière ! Au-delà, je ne pourrais pas, car j’accorde beaucoup d’importance au suivi des auteurs. J’aime aussi être là lors de rencontres littéraires, cela m’apporte beaucoup et les auteurs ont aussi parfois besoin de ma présence.
F.V. Comment percevez-vous l’état de la vie éditoriale en Communauté française ?
L.W. En Communauté française, c’est un peu triste pour l’instant. Des indépendants belgo-belges, il n’y en a plus beaucoup : les grosses maisons ont été rachetées par des Allemands, des Français, des Italiens. Ma situation est un peu particulière : je n’ai pas une grande structure adossée à des capitaux et des financiers, et je ne suis plus une toute petite maison. Donc, j’ai parfois du mal à me situer. Je ne pencherai jamais du côté des financiers, c’est certain. Mais quand je côtoie des gens qui publient cinq ou six livres par an, il est clair que nous n’avons pas le même discours. D’autant que beaucoup ont un métier à côté et ne sont donc pas des professionnels de l’édition à temps plein.
G.D. Y a-t-il beaucoup de jeunes qui se lancent dans l’aventure de l’édition ?
L.W. En France, il y a des jeunes, pour la plupart des dissidents de grandes maisons, qui créent leur propre structure. A un certain moment, il y en a eu beaucoup.
Aujourd’hui il y en a certes moins, mais il est vrai que la situation est tellement décourageante qu’elle ne favorise pas l’initiative. Ici, il n’y a pas assez de dynamique. Au début, vous ne recevez aucun soutien alors que cela devrait être l’inverse. Il faudrait apporter un soutien financier pour donner l’impulsion à des jeunes, leur permettre de se lancer dans l’aventure, mais aussi un soutien en information et en formation. Moi, quand j’ai créé ma maison d’édition, je connaissais déjà tous les arcanes du métier. Mais que font ceux qui débarquent ?
F.V. Que pensez-vous des rapports qu’entretiennent les jeunes avec la lecture ?
L.W. Cela me réjouit toujours de rencontrer des jeunes. Lors du Prix des Lycéens où nous avions un livre en lice, Nuage et Eau de Daniel Charneux, j’ai été étonnée de voir combien les jeunes lisent et la façon intelligente et sensible avec laquelle ils abordent la lecture. Ils avaient réalisé une analyse pertinente pour chaque roman, chaque auteur. J’étais sidérée. Quelle bouffée d’oxygène ! On dit que les jeunes ne lisent plus. Ce n’est pas vrai. Si on leur donne des textes qui les intéressent, ils manifestent un enthousiasme extraordinaire.
F.V. Lors des « Etats généraux de la Culture » à Passa Porta en mars 2005, vous avez pris la parole pour réaffirmer que les éditeurs ne sont pas des marchands mais bien des acteurs culturels. Pourriez-vous nous en dire plus ?
L.W. Le problème est complexe. Si on se définit comme « acteur culturel », on vous renvoie dans les cordes en disant que vous êtes des marchands et quand vous essayez de vous mettre dans la peau du marchand, on soutient que vous êtes des « culturels ». On est toujours en porte-à-faux. Et cela, j’essaie de l’expliquer à tous les niveaux. La structure de la Belgique accentue ce hiatus.
Quand il s’agit de l’entreprise, on relève de la Région wallonne, et là on vous envisage comme marchand. Par contre, on est acteur culturel en Communauté française... Je reçois une petite subvention de la Communauté française en tant qu’acteur culturel, mais le budget de la Culture à la Communauté française reste faible, et surtout les aides varient d’une structure à l’autre sans que l’on puisse toujours bien cerner les raisons objectives qui induisent ces variations...
F.V. Justement, en ce qui concerne la politique culturelle de la Communauté française, pourriez-vous préciser votre action au sein du Conseil du Livre ? Votre présence dans cette assemblée fait-elle partie intégrante de votre métier ?
L.W. Ce travail est très important, car nous conseillons la ministre : éditeurs, libraires, bibliothécaires représentés par les présidents des associations professionnelles, Laurence Boulanger et Jean-Michel Defawe.
En totale transversalité, nous essayons de défendre le livre et la lecture, tous acteurs confondus. Cela ne fait pas partie intégrante de mon métier, mais j’estime que il est très important d’assurer une représentation des éditeurs dans ces instances où des avancées sont possibles pour l’avenir du livre et de la lecture. J’y apporte le point de vue de l’édition littéraire, l’édition scolaire et scientifique étant représentée par quelqu’un d’autre. J’essaie aussi, dans ces assemblées, de faire abstraction de mes intérêts personnels et d’avoir une vision plus large en tant que représentante d’une profession. Il faut faire bouger les choses et le but est toujours le même : la défense du livre, de la lecture, de la culture et de la création...
F.V. Mais les chemins pour atteindre ces buts divergent parfois, que l’on soit auteur ou, par exemple, bibliothécaire ! Précisément, la perception du Droit d’auteur sur le prêt a fait beaucoup de vagues dans le monde de la Lecture publique en Communauté française. Comment percevez-vous les revendications des sociétés d’auteurs ?
L.W. J’estime qu’un auteur doit avoir une juste... « compensation de sa création ». Remarquez que je n’emploie pas le terme « rémunération » car écrivain, selon moi, n’est pas un métier. Par contre, je n’étais pas favorable au droit d’auteur sur le prêt car, s’il y a des bibliothèques publiques, c’est pour qu’il y ait un accès le moins cher possible à la lecture. Donc, introduire la notion de prêt payant me semblait antinomique. D’autant plus que le livre qui est prêté par la bibliothèque a été acheté et que l’auteur reçoit là-dessus des droits d’auteur !
F.V. Et le dossier relatif au « Prix fixe du livre » ?
L.W. Je suis bien évidemment pour le prix fixe, il s’agit de la condition de survie de la création dans des petites structures indépendantes dont le rôle est capital pour le soutien de la vie littéraire. Rares sont les grands auteurs qui ont été découverts par des grandes maisons d’édition, qui ne prennent en général pas de risques. Cette fonction de découverte, de soutien d’auteurs en devenir, est réalisée par des petites structures. Et le prix fixe est la condition de survie de ces petites structures, à travers la survie de la librairie indépendante.
C’est un dossier « serpent de mer » : chaque fois que l’on croit être arrivé au but, on doit tout recommencer. Il y a de nombreux freins. Nous sommes dans une société qui devient de plus en plus libérale, et cette idée du prix fixe est difficile à faire passer. Comme d’autres d’ailleurs...
F.V. Précisément, depuis la publication de l’Argumentaire sur la situation du livre et de la lecture en Communauté Wallonie-Bruxelles en 2002 qui appelait à des actions nouvelles, à de nouveaux moyens, quels sont les dossiers qui ont, selon vous, évolué positivement ?
L.W. Je vois des petites avancées, des petites victoires, une évolution des mentalités mais, en règle générale, j’ai l’impression que l’on se trouve souvent confrontés à une machine difficile à faire bouger. Nous sommes parvenus à ce que la Communauté française se positionne en faveur de la réintroduction du livre dans les classes, pas seulement du manuel scolaire mais du livre de lecture. Ce qui me semble positif, c’est que, d’un point de vue général, tout le monde a compris que les actions en faveur de la lecture sont nécessaires et positives. Une autre victoire concerne la nouvelle législation fiscale pour les auteurs.
Désormais, l’éditeur retient un précompte de 15% sur les droits d’auteur, 15% qu’il verse directement à l’administration fiscale ; l’auteur ne doit plus déclarer ces droits. Pour lui, c’est un avantage, car il ne risque plus de passer à un barème d’imposition supérieur. Le combat n’est jamais terminé et, à l’heure actuelle, des discussions sont menées avec la RTBF pour qu’il y ait davantage de capsules littéraires, et que certaines soient tournées en bibliothèque.
F.V. Et les bibliothèques publiques, quelle place leur donnez-vous dans cette chaîne du livre ?
L.W. Pour moi, sans hésiter, ce sont des partenaires incontournables. Personnellement je prends toujours plaisir à ce que mes auteurs se rendent à des rencontres organisées en bibliothèque. C’est capital, car le rapport et la discussion seront différents. Bien souvent, les usagers ont déjà lu le livre et il n’y a aucun enjeu commercial : simplement discuter de l’écriture, du fond, du travail de l’écrivain.
Je suis déjà allée dans de nombreuses bibliothèques et je suis ouverte à toute demande. J’aime y aller avec un auteur ou plusieurs et animer la rencontre. Pour moi, c’est important d’avoir le retour des lecteurs. Il y a des éditeurs qui restent dans leur tour d’ivoire. Moi, j’ai choisi de consacrer du temps à ces rencontres...
"Un vrai bonheur d’édition et un régal de lecture... Un roman apaisant, qui rend aussi zen que le moine-poète Ryôkan..." (L.W.)
Propos recueillis par Gérard Durieux et Françoise Vanesse
Avin, mai 2009
© FIBBC 2004 - 2024 Politique de Confidentialité