Regards croisés sur... Nos coups de coeur

Quand le requin dort

Publié le 23 septembre 2010, par Gérard Durieux


L’humour subtil, le regard tendre et la plume légère de Milena Agus nous reviennent avec bonheur dans ces pages qui nous offrent une constellation de personnages bizarres, déjantés, rêveurs et pathétiques.

AGUS Milena, Quand le requin dort, Liana Levi, 2010.

L’univers et la petite musique de cette romancière sarde nous sont présents depuis Mal de pierres (2007) et Battement d’ailes (2008). Quand le requin dort est en fait la traduction de son premier ouvrage dont l’original italien date de 2005.

Agus nous propose déjà ici, la chronique pointilliste d’une famille étrange qu’aquarelle pour nous une narratrice adolescente mal dans sa peau, engagée dans une troublante relation. Par ordre d’entrée en scène : une grand-mère matriarche ; un père absent, coureur et idéaliste ; une mère bovaryenne genre « excusez-moi-d’être-au-monde » ; un frère fragile rivé à son piano ; une tante en mal d’amants lorgnant immanquablement les mâles de passage qui traversent à l’envi cette constellation de personnages bizarres, déjantés, rêveurs et prisonniers de ce monde étroit de petites violences.

Existences pathétiques, presque tragiques, où tout espoir semble sans cesse reconduire à l’échec. Avec la question modulée par chacun : « Et Dieu dans tout ça ? ».
Ce pourrait être désespéré. Mais il y a la mer, le soleil de Sardaigne et la musique où éclate « la fragile, tragique, joyeuse et divine intensité de la vie ». Et il y a l’humour subtil, le regard tendre et la plume légère de Milena. Ces pages, dès lors, sont d’amour et de joie.
Car le récit s’achève sur une fable en forme de rédemption, thème si cher à la romancière. Comme le Jonas du conte biblique expulsé du ventre de la baleine revient à la lumière, la famille finira par échapper aux tempêtes de la vie. Elle va quitter le « ventre du requin qui dort » et renaître à l’avenir : une enfant venue d’ailleurs, figure d’amour neuf et fragile, épouse le fils passionné de musique. Noces sardes qui sauvent l’amour de ses errances et de ses défigurations et rendent à la narratrice blessée un regard émerveillé : « Le monde est beau, vraiment ». Happy End trop légère ?
Mais pourquoi faudrait-il donc que, toujours, soit niée la beauté des êtres ?