Prix Libbylit : Le prix qui, depuis dix ans, ose la différence !

Publié le 14 octobre 2014, par Françoise Vanesse


En octobre dernier, dans le cadre du Salon Education de Charleroi, le prix Libbylit célébrait un anniversaire ! En effet, depuis maintenant dix ans, son jury, composé de professionnels du livre, interroge la littérature de jeunesse afin de mettre en lumière des œuvres d’exception, des créations atypiques et des artistes de grand talent avec une attention spéciale pour la production belge. A l’occasion de cet événement, nous nous sommes penchée sur la personnalité très affirmée de ce prix qui, grâce à ses nombreuses particularités, ose la différence !

Aujourd’hui, la production en littérature de jeunesse est pléthorique. Dans un tel contexte de bouillonnement, mieux vaut garder la tête sur les épaules et pouvoir choisir le bon livre. Exercice parfois périlleux, essentiellement pour les parents noyés devant la masse de l’offre mais aussi pour les enseignants et les médiateurs du livre. Heureusement les prix sont là pour guider, aiguiller, frayer un chemin… Avec chacun leur personnalité ! En effet, les prix en littérature de jeunesse, c’est un peu comme une grande famille où chacun doit trouver sa place pour s’épanouir. Si certains organisateurs choisissent leurs lauréats en focalisant leur sélection sur une tranche d’âge très spécifique, tels les prix destinés au jeune public ou aux adolescents ; d’autres interrogent la production en littérature de jeunesse dans son ensemble, tout âge confondu, et, au cœur de ce vivier, élisent leurs coups de cœur avec des objectifs très pointus et sans concession. Tel est le cas de l’audacieux prix Libbylit !

Un prix qui sait se démarquer !

Dix ans, déjà, se sont écoulés, depuis le moment où Luc Battieuw, à l’époque coordinateur du Salon du Livre de jeunesse de Namur, souhaitait doter cet événement d’un prix remis à cette occasion. Mais, pour donner sa chance au petit nouveau, il fallait lui dessiner une personnalité bien affirmée, lui créer un caractère bien trempé. En effet, les prix en littérature de jeunesse, ainsi que les sélections de professionnels, sont légions ! Un prix supplémentaire devait, dans ce contexte, pouvoir se démarquer…
Et des particularités, le prix Libbylit en a plein son panier !
Premièrement, contrairement à certains de ses frères qui se limitent à une tranche d’âge très spécifique, le prix Libbylit touche tous les publics de 0 à 17 ans. Cette grande latitude permet au jury de ne pas penser en fonction d’un public délimité mais de se centrer sur l’ensemble de la production. Au cœur de celle-ci, sont sélectionnées des œuvres exceptionnelles, voire atypiques réparties ensuite en six catégories très larges qui veillent à ne pas trop cloisonner une œuvre : Album, Album petite enfance, Roman Junior, Roman Ado… Avec une attention spéciale pour la production belge : Album belge, Roman belge.

Un prix de concertation

Enfin, la façon dont les lauréats sont choisis est également bien particulière. Car, ici, les jeunes lecteurs n’interviennent pas dans le choix des lauréats, contrairement au prix Bernard Versele, Farniente ou Ado Lisant. En effet, les livres primés sont désignés exclusivement par un jury composé de professionnels ou personnes impliquées dans le domaine de la littérature de jeunesse et ayant, préalablement, élu leurs coups de cœur recensés dans la revue Libbylit, éditée par le Centre de Littérature de Jeunesse de Bruxelles et la Section belge francophone de l’IBBY. Ce qui paraît essentiel, c’est que des horizons professionnels différents soient représentés dans ce jury. « En effet, explique Robert Schmidt, président du jury roman, ce ne sont pas uniquement des bibliothécaires, mais également des animateurs, des professeurs, des libraires qui le composent. Cette diversité est évidemment d’une grande richesse car si des personnes aussi différentes peuvent se concerter et se mettre d’accord sur le caractère exceptionnel d’une œuvre, c’est que cette création mérite vraiment d’être mise en avant. » Enfin, une attention particulière est donnée à la production belge que ce soit album ou roman ce qui est assez unique et assure une très bonne promotion de la littérature de jeunesse belge, ici mais également hors de nos frontières.

Un prix qui n’a pas froid aux yeux…

Cette quête de la qualité, sans concession, amène le jury sur des terrains parfois semés d’embûches. Car le prix Libbylit n’a pas froid aux yeux et n’hésite pas, si l’occasion se présente, à promouvoir des œuvres potentiellement dérangeantes. « Effectivement, poursuit Robert Schmidt, au fil des ans nos jurys sont de plus en plus audacieux et nous aimons ce qui sort un peu de l’ordinaire. Notre philosophie est de dire que, précisément, ces livres hors-normes, atypiques, ont souvent plus de mal à trouver leur place auprès des parents. A nous de leur montrer que, même si la première impression peut être dérangeante, ce livre ou cet album vaut la peine d’être lu, raconté, animé. A nous de faire sortir de l’ombre des ouvrages plus difficiles à condition, bien entendu, que la qualité soit au rendez-vous ! Il est hors de question de mettre en avant des livres ou des albums dérangeants juste pour le plaisir de choquer. Cependant, un des albums que nous avons primé en 2011, Tous à poil de Claire Franek et Marc Daniau aux éditions du Rouergue, a connu un retentissement particulier en France en 2013, lorsque Jean-François Copé, a l’époque président de l’UMP, a déclaré lors d’une interview qu’un tel ouvrage n’avait pas sa place en bibliothèque ! L’affaire a été évoquée au journal d’Antenne 2 et a fait une belle publicité à l’album et indirectement à notre prix. »

Un prix fort !

Dix ans de parcours, l’occasion de se remémorer les moments forts. « En général, les moments les plus chargés en émotion sont ceux où nous informons les lauréats car leurs réactions sont souvent généreuses et enthousiastes. Cette année-ci, nous avons reçu un courriel de Johan Unenge, lauréat pour Ma vie extraordinaire publié chez Bayard Jeunesse, qui était enchanté d’une telle reconnaissance ! Les autres moments marquants arrivent souvent lors de la remise des prix où nous rencontrons les auteurs ou les éditeurs avec beaucoup de complicité. Je me souviens de Claire Dé, qui a reçu le prix « Mention spéciale – hors catégorie » en 2011 pour A toi de jouer publié aux éditions Les Grandes personnes et était venue spécialement de Paris, à ses frais, pour recevoir sa récompense. Cette année, nous avons eu la chance de pouvoir accueillir Anne Provoost, auteure, et Ingrid Godon, illustratrice, deux femmes de la communauté néerlandophone. Ce fut un vrai moment d’émotion de pouvoir recevoir ces deux grandes dames de la littérature de jeunesse et faire dialoguer les deux communautés de notre pays autour d’un projet commun, loin de toutes polémiques... »

Un Prix en évolution

Dix ans, c’est aussi l’occasion de regarder en arrière et d’établir un bilan. Bien sûr, le prix a évolué. Au départ, il y avait quatre catégories qui sont maintenant passées à six fixes. De plus, actuellement, le jury a la possibilité de proposer des prix « hors-catégories » : ouvrages impossibles à classer ailleurs ou méritant une mise en lumière particulière telle, cette année, l’émouvante création de Thierry Dedieu aux éditions du Seuil. « Nous avons trouvé semble-t-il, une certaine vitesse de croisière, conclut Robert Schmidt. De part la diffusion de notre revue Libbylit, de notre newsletter Libbylit.net, des affichettes et des signets que nous réalisons pour faire la publicité du prix, nous touchons un vaste public de bibliothécaires, d’enseignants, d’associations et d’éditeurs. Mais nous ne nous reposons pas sur nos lauriers ! Notre prochain but est une exposition plus grande de cette sélection. Nous commençons à être connus, si pas reconnus, dans les milieux professionnels, mais encore très peu du grand public. »
Rien d’étonnant, en poursuivant des objectifs si pointus, de tarder à obtenir l’écho optimal et pourtant il faut persévérer. Car, en effet, cette sélection offre le grand intérêt, à l’image du pari de nombreux auteurs et illustrateurs soutenus par leurs éditeurs, de faire preuve d’exigence, de faire tomber des barrières et d’envisager certains livres de littérature de jeunesse comme des œuvres à part entière. A l’ère de la tendance à la surproduction, à l’uniformisation et au retour de la censure, ce combat, est, plus que jamais, nécessaire.

Françoise Vanesse

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