Poésie et engagement

Rencontre avec Jean-Louis Massot, fondateur des Editions "Les Carnets du Dessert de Lune"

Publié le 23 septembre 2010, par Françoise Vanesse


Voilà presque quinze ans que les éditions « Les Carnets du Dessert de Lune » sèment le désordre dans les rayonnages des bibliothèques avec leurs livres aux formes parfois inclassables où poésies au quotidien, minuscules instants de vie et dérision se rencontrent ... Lors de cette Foire du Livre de mars 2010, nous avons rencontré Jean-Louis Massot, fondateur de cette maison d’édition et présent à cet événement comme éditeur mais aussi en tant que diffuseur. Micro éditeur par le nombre de titres publiés chaque année et éditeur alternatif pour le choix de ses textes, il nous présente sa maison d’édition de livres de création, évoque la place de la poésie dans la production actuelle et ses rapports avec les bibliothèques publiques en Communauté française.

F.V. Prochainement, les éditions « Les Carnets du Dessert de Lune » que vous avez créées vont fêter leurs quinze ans ! Pourriez-vous brièvement nous retracer votre parcours et les caractéristiques de cette maison d’édition belge, au nom si poétique et un peu étonnant ?

J-L M. J’ai en effet fondé les éditions « Les Carnets du Dessert de Lune » il y a presque quinze ans. A l’époque, j’écrivais des textes poétiques et j’étais publié dans une maison d’édition de Charleroi qui s’intitulait « L’horizon vertical ». Suite au décès très brutal de son responsable, Antonello Palumbo, en 1994, cette maison d’édition disparaît soudainement et, afin de rendre hommage à cet homme qui était devenu un ami, j’ai décidé de publier les manuscrits qu’il avait en réserve. Rapidement, je me suis laissé prendre au jeu du plaisir de l’édition et j’ai décidé de fonder ma propre maison. Il fallait que je lui trouve un nom ! Ce fut « Les Carnets du Dessert de Lune » ! J’avoue que cette dénomination, qui m’est venue à l’esprit de manière très spontanée, m’interpelle encore parfois aujourd’hui... Mais ses accents poétiques et un peu surréalistes me plaisent beaucoup et, surtout, reflètent bien ma démarche.

F.V. Vous ne publiez alors en effet que des Carnets ?

J-L M. Au tout début, oui, toutes mes publications avaient la forme de Carnets consacrés exclusivement à la poésie. C’était très confidentiel. Puis, au fur et à mesure, j’ai reçu de nombreuses demandes, des manuscrits sont arrivés. J’ai alors évolué en diversifiant les genres littéraires que je privilégiais et aussi les formes dans lesquelles les textes étaient publiés. Actuellement, je propose de la poésie bien entendu mais aussi des romans, de la micro-fiction, des nouvelles, des livres de voyage.

F.V. Mais quelle est votre spécificité ?

J-L M. Dans toutes mes publications, je donne la priorité aux textes poétiques souvent ancrés dans le quotidien. Au niveau de la micro-fiction et des récits de voyage, j’ai une préférence particulière pour les récits qui sont racontés de manière humaine et surtout citoyenne. Enfin, je garde toujours une prédilection pour le non-sens et l’autodérision. Au niveau des auteurs, je publie des auteurs français, belges, avec une attention particulière pour les jeunes auteurs. C’est ainsi que j’ai développé une collection qui leur est réservée : il s’agit des Petits Carnets. Enfin j’accorde de l’importance à la forme des livres que je publie. C’est ainsi que l’on trouve des livres au format courant mais aussi parfois inclassables. Un de mes auteurs a défini les livres des Carnets ainsi : « Des livres pour semer le désordre dans les bibliothèques », ça me correspond bien ! En résumé je me sens plutôt micro éditeur pour le tirage car une centaine de titres ont été publiées en quinze ans et éditeur alternatif pour certains choix.

F.V. Quelle place le marché actuel du livre consacre-t-il à la poésie ?

J-L M. Une place très, très restreinte et, malheureusement, je ne vois guère d’évolution mais plutôt une stagnation. Ainsi, au cours de ces derniers mois je n’ai vu aucun lancement de nouvelles maisons d’édition de poésie. Par contre, fait très positif, j’ai vu des librairies qui ont ouvert leurs portes et qui se spécialisent dans des littératures alternatives que l’on ne trouve pas chez des libraires plus importants. Là il y a un genre de frémissement qui se fait sentir mais au niveau des maisons d’édition, je ne constate pas ce genre de phénomène. Parfois, quelques revues littéraires démarrent... mais tout cela reste très confidentiel et relève d’initiatives privées réalisées avec les moyens du bord, comme la revue Microbe d’Eric Dejaeger. Or, toutes ces initiatives de terrain sont très importantes pour nous en tant qu’éditeurs car elles nous permettent de faire découvrir des auteurs inédits qui font leurs premières armes.

F.V. Dans un tel contexte, votre présence est-elle nécessaire à des événements tels que cette Foire du Livre de Bruxelles ?

J-L M. Plus que jamais ! Notre présence est nécessaire, indispensable ; nous devons y être présents car si nous ne sommes pas visibles on se dit vite que l’on n’existe plus et alors, croyez-moi, on est vite oubliés ! Et depuis que les Carnets existent, j’ai toujours voulu être présent à la Foire du Livre soit sur un stand collectif ou sur un stand individuel.

F.V. Alors que cette présence doit être très difficile financièrement pour des petites structures comme la vôtre ?

J-L M. Oui, bien sûr, et c’est pour cela que nous devons nous associer sur un même stand sans cela ce serait impossible. Ainsi, à cette Foire du Livre 2010, je représente dix maisons d’éditions sur un stand qui reste néanmoins d’une petite superficie mais qui, je dois le souligner, est bien situé cette année ! Cela implique que je présente exclusivement quelques livres de chaque maison car je n’ai pas la place pour en proposer plus.

F.V. Dans un tel contexte, l’existence d’autres événements plus spécialisés comme le Marché du Livre de Mariemont où vous pouvez présenter votre démarche de manière plus exhaustive est donc très précieuse ?

J.L.M. Mariemont, c’est un véritable lieu d’échange, d’expression qui donne la place plus à la création qu’à la production. A chaque édition, de nouveaux éditeurs, de nouveaux créateurs sont présents, le public aussi, fidèle ou nouveau, preuve qu’il y a une demande et nous conforte, nous micros éditeurs, éditeurs alternatifs, éditeurs atypiques, créateurs, qu’il y a un intérêt pour ce que nous réalisons.(1)

F.V. Parmi les éditeurs que vous diffusez sur votre stand, quels sont vos coups de cœur ?

J-L M. En jeunesse, j’apprécie particulièrement « Passage piétons », « Les Ateliers du Poisson soluble » mais aussi « Motus », un éditeur français qui existe depuis vingt ans et qui se spécialise dans une écriture parfois proche du surréalisme. Leur richesse réside, à mes yeux, dans le fait qu’ils développent des collections de livres pour enfants sous forme d’albums plus classiques, dirons-nous, et parallèlement des livres de poésie dont beaucoup sont développés autour du thème du surréalisme.

F.V. Avez-vous beaucoup de contacts, de sollicitations lors d’événements comme celui-ci ?

J-L M. Oui, certainement et surtout au niveau du livre de jeunesse. Manifestement il y a beaucoup de gens qui ont le rêve d’écrire ou d’illustrer. Mais le bât blesse un peu lorsque l’on demande du concret. Là, c’est plus flou. Certains ont parfois une idée mais le concret peine à suivre... Par contre, au niveau éditions poésies ou romans, j’ai beaucoup moins de sollicitations qu’auparavant lors de cette Foire. J’en ai beaucoup plus via Internet. Je reçois au moins quatre manuscrits par semaine. En conclusion, je pense que plus que jamais beaucoup de personnes ont toujours envie de s’exprimer et cela est très rassurant mais il y a une méconnaissance du parcours à faire, des étapes à entreprendre. J’ai l’impression qu’Internet a notamment la conséquence de faire croire que tout est possible, rapidement ! Mais la création demande d’autres mécanismes de maturation...

F.V. Quand vous entendez des débats comme ceux organisés à proximité de votre stand et relatifs par exemple aux accords que des éditeurs ou des bibliothèques passent avec Goggle pour numériser leurs collections ou aux nouveaux supports de lecture électronique, vous sentez- vous concerné par ces problèmes d’actualité pour le monde du livre ?

J-L M. Par rapport à mon travail d’éditeur, je me sens complètement éloigné de cette problématique. Mais par contre, en un sens plus large, je trouve que c’est très intéressant de numériser un patrimoine pour le rendre accessible au plus grand nombre et surtout pour le sauvegarder. Le numérique est pour moi un outil pratique mais surtout pédagogique incontestable. Par contre, je suis très méfiant et critique par rapport aux dangers de l’appropriation d’un patrimoine public par une firme privée. Quant aux e-books, je reste curieux ! On m’en a prêté un dernièrement et je n’ai pas du tout apprécié le confort de lecture...

F.V. En tant que maison d’édition recevez-vous une aide de la Communauté française ?

J-L M. Je n’en reçois pas parce que je n’en demande pas ! Je souhaite en effet garder une totale indépendance. Bien évidemment, quand je publie un auteur belge, je reçois un soutien de la Commission des Lettres mais c’est tout. Je souhaite en effet une totale indépendance car j’ai un très grand respect par rapport à l’argent public et il y a une question qui me taraude : les subsides que l’on reçoit profitent-ils vraiment au plus grand nombre ? J’ai le sentiment que parfois l’argent public est octroyé à des projets qui n’ont pas de suivi et je suis très récalcitrant par rapport à ce genre de fonctionnement. Je trouve que c’est de l’argent gaspillé. Recevoir des subsides pour la publication d’un livre c’est très bien mais parfois la vie de ce livre est très courte, il termine dans des caisses et puis c’est trop vite terminé.

F.V. D’où l’importance de faire vivre ces livres au-delà de leur parution et c’est précisément ce que font les bibliothécaires ! D’une manière plus générale, quelle image avez-vous des bibliothèques publiques ?

J.L.M. Je pense qu’en aval, elles font un travail utile mais qu’en amont, c’est aussi le cas pour la plupart des librairies, elles ne prennent pas beaucoup de risques et se contentent de suivre l’air du temps, mais peut-être est-ce dû à un manque de temps, de motivation ou de moyens.

F.V. Avez-vous parfois des liens avec des bibliothèques ou des écoles pour mener des actions en faveur de la promotion de la poésie ou des maisons d’éditions de création telles que la vôtre ?

J-L M. En Communauté française, pas du tout ! Et je le regrette d’autant plus que je suis régulièrement invité en France. Mais ici, mis à part la Maison du Livre de Saint-Gilles où je vais régulièrement, je ne suis jamais invité ni dans les écoles, ni dans les bibliothèques ni dans les associations... Alors, que l’on aide un auteur pour lui donner une bourse à l’écriture, je trouve cela très bien ! Que l’on aide des éditeurs, oui mais... à condition que les livres auxquels ils permettent d’exister aient un parcours un peu plus étoffé que le simple fait d’avoir vu le jour !

F.V. Que seriez-vous prêt à mener comme action ?

J-L M. Cela fait partie de mon engagement. Je suis prêt à aller en bibliothèque pour parler de la poésie contemporaine, de la place de la petite édition chez les libraires, organiser des ateliers d’écriture poétique. La poésie conserve en effet toujours une place un peu marginalisée et il faudrait que cela change car cette situation est dommageable. Imaginez, la poésie contemporaine n’est présente dans aucun programme de cours de l’enseignement secondaire. Or, la poésie contemporaine existe. Par contre, on étudie jusqu’au XXème siècle mais on ne va pas plus loin. C’est absurde. De plus, de nombreux auteurs de grande envergure sont toujours vivants. Ce serait l’occasion de les rencontrer ! Quand on voit l’engouement qui existe au niveau de la littérature de jeunesse à l’heure actuelle, il demeure un fossé. Je pense que le mot poésie fait peur et rebute certains. C’est un mot qui véhicule malheureusement encore aujourd’hui de nombreux préjugés.

F.V. Alors que, quand on voit votre stand ici à la Foire du Livre, c’est justement la poésie à la portée de tous ...

J-L M. Bien sûr, la poésie pour tous, petits et grands sans barrière parfois, le plaisir de l’émotion d’un texte, le jeu, l’humour comme ces Bonbons mots ou ce stylo Tout un poème proposé par les éditions Motus. La poésie n’a pas fini de nous donner envie.

Propos recueillis par Françoise Vanesse
Foire du Livre de Bruxelles, lundi 8 mars 2010

(1) Marché du livre de Mariemont, Salon de la petite édition et de la création littéraire. Organisé tous les deux ans au Musée Royal de Mariemont ( Morlanwelz).