Regards croisés sur des notes de musique

La musique d’une vie

Publié le 16 janvier 2006, par Gérard Durieux


Ce court et beau roman est de ceux que l’on relit, avec la conviction que la simplicité de cette « musique des mots » recèle encore quelques accords « inouïs

MAKINE Andreï, La musique d’une vie, Seuil, 2001.

"... au cœur de cette nuit hors du monde...Je m’éveille, j’ai rêvé d’une musique...quelques notes que j’essaye de saisir comme l’enfant tente d’attraper un coquillage entrevu dans le rouleau d’une vague... "

Une salle d’attente glaciale. Dans une gare de l’Oural, des corps entassés espèrent un train hypothétique. Le narrateur observe ce conglomérat résigné. Dans la nuit froide et anonyme, un homme joue.

Le roman nous invite à écouter son chant, tragique et pourtant paisible.

Le narrateur retrouve le pianiste dans le train. En route vers Moscou, le musicien confie son histoire et nous apprenons de quelle source intime coule la musique de cet Alexeï Berg, jeune juif pourchassé par les purges staliniennes, emporté par la guerre avec l’Allemagne, contraint de changer d’identité et de taire ses talents de pianiste pour sauver sa vie, imposteur amoureux, à chaque pas familier de la mort.

A travers toutes ces péripéties, sa force indomptable se voile sous une apparente distance de tout.

Mais au plus profond, la musique désormais cachée, interdite, alimente en lui la résistance intérieure comme une eau devenue souterraine. Elle resurgira, déferlera. Trahissant son imposture tout en le rendant définitivement à lui-même, comme absous : « Il n’avait pas l’impression de jouer. Il avançait à travers une nuit, respirait sa transparence fragile faite d’infinies facettes de glace, de feuilles, de vent. Il ne portait plus aucun mal en lui. Pas de crainte de ce qui allait arriver. Pas d’angoisse ou de remords. La nuit à travers laquelle il avançait disait et ce mal, et cette peur, et l’irrémédiable brisure du passé mais tout cela était déjà devenu musique et n’existait que par sa beauté » (p.120).

L’écriture de Makine (Prix Goncourt 1995 pour "Le testament français") est d’une lumineuse précision.

De brèves notations ouvrent à l’univers des sentiments, quelques images ajustées portent le sens du texte...
Ce court et beau roman est de ceux que l’on relit, avec la conviction que la simplicité de cette « musique des mots » recèle encore quelques accords « inouïs »
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