L’énigme du retour

Regards croisés sur... "Haïti : au nom de l’Homme"

Publié le 28 juillet 2010, par Gérard Durieux


Le cahier d’un fils exilé en quête de l’histoire d’un père disparu et d’une terre d’origine, Haïti, que le narrateur revisite jusqu’à l’éblouissement...

LAFERRIERE Dany, L’énigme du retour, Grasset, 2009

Un vieil homme meurt dans la solitude de Brooklyn. Paysan haïtien, révolutionnaire et ministre, exilé sans retour, devenu fou d’avoir fui la dictature de Duvalier et de ses macoutes... Son fils, notre narrateur, parti lui aussi vers Montréal, décide de rentrer au pays pour comprendre qui était ce père énigmatique, si mal connu de lui ; « Il m’a donné naissance, je m’occupe de sa mort ».

Au long des pages de ce Cahier d’un retour au pays natal (Césaire), c’est Port-au-Prince et ses parages que le narrateur redécouvre : senteurs, couleurs, rumeurs d’une capitale « métastasée », au bord de l’explosion. Sans répit, il observe et note des images : les aubes bleues de Port-au-Prince, la vie mondaine des profiteurs, les retrouvailles avec les anciens amis, ses rencontres avec les peintres naïfs ou les écrivains en cour...Il dit aussi la violence et la révolte d’une jeunesse aux espoirs sans cesse brisés.

Alors, tandis que s’éclaire par bribes l’énigme du père, il s’accorde à nouveau au mystère luxuriant de sa terre d’origine, saturée de rites hérités de l’Afrique ancestrale. Ce qu’il avait évacué de son esprit pour éviter la nostalgie redevient présent. Il renoue avec son enfance de bonheur. La quête du père reconduit ainsi l’homme des Caraïbes à la réappropriation de cette part de lui-même, gelée trente ans durant aux hivers du Canada de son exil.
Ce roman de nostalgie, envoûtant, grave et tendre, (élu meilleur roman français de l’année par le magazine Lire et Prix Médicis 2009), tient du carnet de croquis et du poème en prose. Cette suite de haïkus murmurés « é-meut » littéralement, nous meut hors de nos propres enfermements. Tout en nous faisant aimer plus encore cette terre et ceux qui la hantent dans l’obscur et la vitalité, ces pages portent aussi l’interrogation lancinante d’un homme sur l’énigme essentielle de sa vie et de son écriture : « Aurais-je écrit si j’étais resté là-bas, au pays de mon enfance sans père ? Ecrit-on hors de son pays pour se consoler ? Je doute de toute vocation d’écrivain en exil ». Ainsi va tout retour au pays de l’origine, d’énigme en énigme jusqu’au consentement.