Étincelles I et II

Regards croisés sur solitude et engagement

Publié le 18 mai 2009, par Gérard Durieux


A l’image d’un guetteur au bord du monde, ce moine bénédictin, semeur de feu, tendre et polémique à la fois, nous livre ici dans une écriture en éclats et très poétique, les fruits de son travail d’homme-écrivain.

CASSINGENA-TREVEDY François, Étincelles I et II, Ad Solem, 2004 et 2007.

S’il est un cliché qui conserve la vie dure, c’est bien celui du moine vivant en dehors du monde, à l’abri de ses vicissitudes, planqué même. Bénédictin de Ligugé, poète, écrivain théologien, émailleur sur cuivre et enseignant à Paris, l’auteur de nos deux superbes volumes met à mal cette opinion convenue.

D’abord, cet ancien élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, né en 1957, ne vit pas en reclus. Trois fois par an, en breton amoureux de la mer, il s’embarque comme « marin-pêcheur » au Croisic : pleinement moine en contemplant la mer, totalement homme au cœur de cette vie toute de rudesse. Ensuite, s’il écrit de nuit durant des heures, dans une mansarde sous les toits de son monastère poitevin, c’est comme un guetteur au bord du monde : le temps de la longue veille. Et celui du travail redoutable : « Je me mets à mon établi, je ponce, je rabote ». Car pour lui l’écriture n’est pas un jeu mais une tâche. Elle prend sa source dans une blessure aussi profonde que notre être même, devant la beauté, l’infini, la mort, devant la nuit : « J’écris, non par inclination mais pour servir le monde de ce temps que j’aime ».

Alors il cisèle ses aphorismes ouvragés comme des diamants, fragments de poésie au rythme des saisons liturgiques, annotations d’évangile lapidaires de nouveauté, réflexions mûries sur le temps qui va, sur le « difficile métier d’être homme ». D’un volume à l’autre,
le ressac du monde s’est engouffré dans ce brasier d’« étincelles », imposant comme un grand vent venu du large, porté tout bas comme un souci : l’amour, le bonheur, la musique, le corps, les pauvres, l’histoire... sont mis en mots contemplatifs qui sondent loin et halent vers le haut. Au seuil d’une « nouvelle nuit des temps » qu’il faut apprivoiser, des silex de silence pour nos lumières artificielles. Un art de vivre au cœur des choses de la vie pour n’ y point perdre son âme.

Ce semeur de feu, tendre et polémique à la fois, vit donc à la fenêtre de sa cellule, les yeux grands ouverts sur le monde. Et sa « parole en archipel » est admirablement servie par une écriture en éclats, traversée de bonheurs d’expression fulgurants, libre, musicale, poétique, subtile jusqu’au raffinement, souvent somptueuse. Ses brèves célébrations de la vie à l’écoute de la Parole nous élèvent, pareilles aux pensées de Pascal, et nous renvoient aux poèmes plus proches de son ami Gilles Baudry, autre frère bénédictin, lui aussi sentinelle face au silence de Dieu et à la rumeur des flots de Landévennec. Vous avez dit solitaires ?