Cueillette en plaisir de lire

Publié le 13 octobre 2015, par Françoise Vanesse


Trois albums qui s’habillent de lecture, de plaisir ou de devoir lire…

DAVIDE CALI, BENJAMIN CHAUD, Je n’ai pas fait mes devoirs parce que…, Hélium, 2014

Décidément, la problématique des devoirs après l’école semble une préoccupation bien universelle. Et que dire du lot d’excuses à brandir, en cas de défaillance, à son institutrice ? Précisément, la voici en première page, lunettes sur le bout du nez, l’air circonspect et interrogateur, seule juge capable de vous sanctionner ou de laisser passer. En dialogue avec cet air dubitatif et revêche, un petit élève, frêle et démuni, les bras tendus, quémandant l’indulgence en débitant les motifs qui ont empêché la concrétisation de ces fameux devoirs. Son cortège d’excuses, plus farfelues les unes que les autres, s’égrène au fil des pages : « Je n’ai pas fait mes devoirs parce que nous n’avions rien à brûler et j’ai dû sacrifier mes livres… notre toit s’est brutalement volatilisé… » Exercice qui, de prime abord, pourrait sembler couler de source mais que les auteurs et illustrateurs, dans un subtil dialogue et rivalisant d’inventivité, permettent de rehausser pour aboutir à une panoplie très cohérente et savoureuse de cocasserie. On reconnaît l’univers de la bande dessinée dont est originaire Davide Cali et on se régale des farandoles de petits détails désopilants à aller picorer dans les illustrations que nous propose Benjamin Chaud, toujours à la pointe pour faire naître de petites créatures sympathiques et fantastiques. Un album à mettre dans toutes les mains d’ enseignants et d’ animateurs en école de devoirs qui induira, sans aucun doute, une dédramatisation de situations parfois douloureuses et surtout une meilleure communication. Un pari réussi des Editions Helium qui permettra à chacun, enseignant ou élève, de prendre de la distance et de la hauteur… avec humour.


KOEN VAN BIESEN, Le voisin LIT un livre, Alice jeunesse, 2013

C’est bien connu, de nombreux adultes exigent le silence pour s’adonner à leur passion favorite, la lecture ! Alors, que faire si vous appartenez à cette catégorie de lecteurs et que vous vivez à quelques mètres d’une petite voisine aimant donner libre cours à des jeux bruyants : ballon, danse et tambour ? Ouvrons cet album et approchons-nous des deux protagonistes… D’emblée, nous voici en présence du voisin : la cinquantaine, habits un peu vintage, plutôt intello, l’air sévère et taciturne « Chhuuut ! Silence ! Le voisin lit un livre ». De l’autre côté, la petite voisine : fantasque, joyeuse, pleine de vie… « Badam boum boum ! » Rien ne semble de prime abord pouvoir réunir ces deux personnalités que sépare un mur astucieusement figuré, dans la mise en page, par la pliure du livre. Alors que le voisin tente désespérément de supporter cette névralgique cohabitation, vite il rouspète et se met à taper violemment sur la cloison. Mais, c’est bien connu, les lecteurs (même maniaques) sont des êtres sensés et intelligents... Aussi, plutôt que de continuer à s’enfoncer dans sa frustration, il décide d’offrir un livre à sa petite voisine et ainsi de la rallier à sa discrète passion. Happy end pour cet album très original et intéressant à plusieurs niveaux. Tout d’abord car le sujet est abordé de façon très inventive et que son développement parvient, avec humour, à transformer ce dialogue de sourd en une belle réconciliation autour du plaisir de lire. D’autre part, l’univers graphique de Koen Van Biesen témoigne d’une importante richesse. En effet, partout c’est une succession de traits énergiques, accentués, habités parfois de différentes matières qui alternent avec des notes blanches et translucides et ceci, en parfaite correspondance avec le thème du bruit et du silence évoqué au cœur de ces pages. Quant aux nombreuses onomatopées très visuelles, elles permettront une lecture vivante et rendront cet album accessible aux plus petits. Un livre qui aborde le plaisir de lire avec tendresse par un développement innovant. Un livre qui joue avec la subjectivité des sons et du silence : une très belle partition orchestrée par les éditions belges Alice Jeunesse.


DANIEL PENNAC, GERARD LO MONACO, Les dix droits du lecteur, Gallimard Jeunesse, 2015

Tout médiateur du livre se souvient du livre culte signé par Daniel Pennac et intitulé Comme un roman. C’était en 1992, déjà ! Mais les années qui se sont écoulées depuis la sortie de ces désormais emblématiques « Droits imprescriptibles du lecteur » et leur insolite mais très utile plaidoyer pour la lecture-plaisir n’enlèvent rien à l’actualité du propos. Depuis cet ouvrage, l’acte de lire est peu à peu tombé de son piédestal. Terminé la lecture comme acte de bravoure et ses dogmatiques « Il faut lire ! ». Place à des comportements empreints de liberté : la lecture peut se picorer plutôt que s’avaler ! Mais, jusqu’à présent, ces pages bien connues de la plupart des adultes n’avaient pas encore franchi l’univers des petits. C’est désormais chose faite avec cet album « pop up », paru à l’occasion des vingt ans de Gallimard-jeunesse, et qui immerge les jeunes dans un univers prônant le droit de lire n’importe quoi et de lire n’importe où !Ici, chaque droit est expliqué de façon abordable aux enfants en les prenant à témoin : « Voici un gros roman que tu trouves trop long. Apprends à sauter les pages toi-même… » Tout en lien avec ces prescriptions insolites invitant les enfants à briser des barrières et à oser des ouvertures, les illustrations « pop up » de Gérard Lo Monaco : larges fenêtres débouchant sur l’imaginaire et la fantaisie. Un subtil dialogue entre le texte et cette imagerie induit l’aspect ludique que peut revêtir la lecture. Un album atypique à mettre dans les mains et sous les yeux des jeunes mais aussi des moins jeunes qui, peut-être en cachette, feront de cet audacieux livre-objet leur livre de chevet. Mais au fait, les adultes peuvent-ils lire des albums ???