Cueillette d’albums... au pied de l’arbre

Publié le 19 octobre 2020, par Françoise Vanesse


Les tragédies climatiques dont les déforestations et les incendies dévastateurs nous rappellent le patrimoine inestimable constitué par les arbres ainsi que l’intense rapport affectif qui nous relie à ces êtres de bois…

SARA DONATI, Parler avec les arbres, éditions du rouergue, 2018

Dans ce contexte de survie menacée, les voici bien légitimement qui nourrissent les préoccupations des scientifiques, inspirent romanciers et essayistes : tous, dans un même élan face à l’ambiance délétère ambiante, ressuscitent ce que nos ancêtres avaient déjà bien intégré : l’image de l’arbre, vecteur de sagesse et d’immortalité mais également porteur d’orientations thérapeutiques. La littérature de jeunesse embraie, elle aussi, dans ce mouvement avec cette création sensible et très riche en émotions graphiques : Parler avec les arbres paru au Rouergue.
Un petit bonhomme se promène dans la forêt et entre en communication avec un arbre avec lequel il noue un dialogue très amical et sensoriel. Le voici à la recherche des multiples visages qui se dissimulent sous les nervures sinueuses de son tronc, à l’écoute du langage de ses odeurs à la fois subtiles et puissantes et à l’affût des multiples perspectives de jeux abrités dans sa puissante ramure. Mise en exergue de la quête universelle de mimétisme face à la nature, évocation de la sylvothérapie, cet album présente le grand intérêt de pouvoir aborder ces thématiques avec les plus petits et ce, de façon très ludique. Mais, à nos yeux, il reste avant tout exceptionnel grâce au charme et la délicatesse des illustrations en parfaite harmonie avec le thème évoqué. Celles-ci, grâce à l’utilisation de pigments naturels, rendent en effet à merveille la finesse et la profondeur des nervures, la douceur de la mousse, l’ambiance feutrée des hautes cimes ou la douce obscurité du feuillage. Et, tout en fusion et en communion avec cette bienveillante nature et à l’image de ce petit bonhomme quittant à la nuit tombée son cher complice, nous fermons cet album, apaisés, mais également taraudés par l’envie d’enfiler nos chaussures de marche afin de tenter cette riche expérience de communion et de sagesse…

Sophie LESCAUT, Thanh PORTAL, L’arbre m’a dit, Le grand jardin, 2017

Qui, mieux que l’arbre, peut nous servir de guide idéal pour nous parler de l’essence de la vie et nous distiller ses petits conseils pour bien grandir ? Précisément, le voici, cet ancestral être de bois qui, de page en page, de branche en branche, nous invite à prendre de la hauteur pour écouter ses sages recommandations. Bien entendu, les paroles de cet être de force et de patience ne sont pas terre à terre mais bien d’ordre plus philosophique ! Il est ainsi notamment question de savoir choisir le bon chemin, de veiller à s’enraciner, de s’ouvrir à la générosité ou d’apprivoiser l’attente du nouveau printemps … De cette charmante allégorie, toute en nuance et en délicatesse, on retiendra un beau bouquet d’atouts très foisonnants. Tout d’abord, la force du propos exprimé, de façon très originale, par le biais d’une succession de phrases extrêmement simples voire parfois lapidaires mais qui parviennent à déboucher sur une palette arborescente d’interprétations. Mais également, la grande ouverture faite aux différents publics susceptibles d’être touchés par cet éventail d’orientations et ce, grâce aux illustrations très figuratives de Thanh Portal. Celles-ci constituent un vecteur idéal pour entrer en correspondance avec les propos oniriques et universels abordés dans ces pages. Car tous, que nous soyons petits ou grands, nous voici réunis autour de ce tronc commun, à l’écoute de cet arbre bienveillant, rempli de sagesse et de détermination, parfois terrassé par les vents ou abattu par l’homme mais toujours renaissant grâce à la quête du sens de sa vie. Enfin, on soulignera les multiples ramifications de cet album susceptible de déboucher sur un vivifiant dialogue lors d’animations ou d’ateliers d’écriture.

Delphine PERRET, C’EST un ARBRE, rouergue, 2019

Delphine Perret aime nous sensibiliser aux multiples interprétations des images et aux différentes lectures qu’un même dessin peut offrir au regard et à l’imaginaire. C’est cette même démarche qui s’articule autour du projet de ce petit ouvrage dans lequel l’auteure entreprend de nous interroger sur les différentes natures des arbres. Car si chacun d’entre nous possédons notre propre vision et conception de l’arbre, il est très intéressant de varier les angles et de faire bouger les lignes : un thème cher à l’artiste. Et de s’interroger sur ce que représente cet être de bois pour d’autres acteurs ! C’est ainsi que, de page en page, nous côtoyons un arbre tantôt abri pour l’oiseau, matériau pour le menuisier ou univers pour la myriade de petites insectes qui s’y lovent. Et oui, l’arbre possède bien des cordes à son arc ! Si cet album présente l’intérêt original de nous emmener sur des chemins aux multiples orientations, l’on aurait aimé les voir déployées de façon plus approfondie et dans un vocabulaire davantage onirique, en meilleure correspondance avec le propos. Quant aux recherches graphiques induites par ces traits minimalistes conjuguées à une palette de couleurs dispensées avec discrétion et nuances, elles apportent un pendant très apaisant et limpide à ces multiples questionnements. C’est cette même limpidité qui permettra de faire de cet album très ludique une porte d’entrée idéale pour concevoir une animation avec les petits. Car on imagine que ce propos pourrait-être sans peine transposé à tout autre élément de la nature : C’est un fleuve. C’est une montagne… Et de prolonger ainsi l’intéressante dynamique amorcée par cette rencontre insolite avec ces arbres, décidément, bien polyvalents !

Britta TECKENTRUP, l’Arbre de la Gentillesse, Editions Quatre Fleuves, 2019

Et si l’arbre, ses profondes racines et son besoin indéfectible de hauteur, être d’accueil et d’adaptation, devenait une allégorie de la générosité et de la bienveillance ? Voici un album qui emboîte le pas et s’empare des qualités naturelles de cet être de croissance pour aborder le thème de l’amitié, du vivre ensemble et de l’attention aux autres. Quoique le projet soit des plus louables, il est développé, à regrets, de façon très manichéenne. En effet, alors que la page de gauche nous plonge dans l’obscurité et la grisaille où peine à s’épanouir un arbrisseau symbolisant le conflit et l’anicroche, voici en page de droite un arbre en pleine croissance, pourvu d’un feuillage abondant et épanoui, symbolisant la bonne entente, la générosité, la joie et l’apaisement. Autour d’eux et virevoltant, des enfants tantôt en proie à la discorde et, enfin, à la réconciliation grâce au sens de l’écoute et du dialogue ! Si la panoplie de bons sentiments véhiculés ici est certes porteuse de sens, rédigée en vers offrant une belle musicalité au texte, il reste que l’on s’interroge sur l’aspect quelque peu prosélyte de leur formulation. Ici, l’enfant n’est, à aucun moment, invité à s’interroger ou à imaginer des solutions car celles-ci lui sont fournies d’emblée sous la forme de prescriptions. Tout en correspondance avec ce manque d’ouverture, la couleur des décors, sombres pour symboliser la dispute et clairs pour l’entente, ajoutent encore une lourdeur dérangeante et stéréotypée. On reste donc perplexe après la lecture de cet album dont seules les attrayantes découpes, en forme d’arbre et signées de Britta Teckentrup apportent ce qui nous apparaît comme la seule fenêtre ouverte au cœur de cette ténébreuse forêt des sentiments.