Avec Wally de Doncker, Président de IBBY International

Publié le 6 juillet 2016, par Françoise Vanesse


Alors que de très nombreux conflits déchirent notre planète et excluent de l’accès au livre et de la lecture des populations entières, nous donnons la parole au Président de IBBY International, Wally De Doncker, à la tête de cette association depuis 2O14 et belge de surcroît ! Cet ancien enseignant, auteur de nombreux livres traduits en plusieurs langues, nous rappelle les actions concrètes développées par cette association notamment dans les pays en crise et ce, en lien avec ses objectifs fondateurs : lutter de part le monde contre l’illettrisme, promouvoir la bonne entente entre les peuples via la littérature de jeunesse et insister sur son inépuisable et nécessaire pouvoir émancipateur.

Littérature de jeunesse et émancipation

F.V. En 1953, les écrivains Jella Lepman, Erich Kästner et Astrid Lindgren fondent IBBY International. Pouvez-vous nous résumer leurs objectifs ainsi que le contexte dans lequel est née l’association que vous présidez actuellement ?

W.D. IBBY international est né dans le contexte de l’après-guerre et, précisément, à l’initiative de la journaliste, Jella Lepman. Désignée par les américains pour travailler à la rééducation de la jeunesse allemande, elle a sollicité vingt pays européens leur demandant de faire parvenir aux allemands des livres exempts de l’idéologie nazie. Cette initiative a donné naissance à la première foire internationale du livre d’enfants à « La Haus der Kunst » de Munich en 1946. Elle a également débouché sur une idée fondamentale : la littérature enfantine peut jouer un rôle dans l’émergence d’un respect mutuel entre les peuples du monde entier. C’est dans cet esprit qu’a été créé, quelques années plus tard, en 1953, IBBY : International Board on Books for Young People, Union internationale pour les livres de jeunesse. Notre association entend promouvoir la littérature de jeunesse et l’alphabétisation dans tous les pays du monde. Elle compte aujourd’hui 76 représentations nationales.

F.V. Au vu de l’ampleur des conflits qui déchirent notre planète, cette mission est-elle toujours concrètement viable ?

W.D. Bien sûr ! Promouvoir l’entente entre les peuples par l’intermédiaire de la littérature de jeunesse est, plus que jamais, une évidence dans notre monde globalisant ! Aujourd’hui, les peuples sont obligés de collaborer encore plus intensément qu’auparavant, que ce soit sur le plan de l’économie, de l’environnement, de la migration mais aussi de la culture. Bien entendu, l’ampleur de la tâche n’est un secret pour personne avec les très nombreuses crises et conflits partout dans le monde, mais nous parvenons à développer des projets précisément dans certains de ces pays.

F.V. Pouvez-vous en citer quelques exemples ?

W.D. Dans le cadre du projet “Children in crisis”, différentes initiatives ont vu le jour. En Afghanistan, nous avons créé des bibliothèques itinérantes dans des territoires particulièrement dangereux. Cela prend parfois une journée pour déplacer une bibliothèque mobile cinq kilomètres plus loin et les bibliothécaires sont parfois encerclés pendant des jours. En Thaïlande, IBBY nourrit le projet de construire une bibliothèque pour enfants dans la capitale et a lancé son projet « Bookstart » - livres pour bébés- , qui s’est révélé un grand succès. La section iranienne de IBBY a travaillé autour du projet « Read with me » qui vise la promotion du livre auprès des enfants défavorisés. L’IBBY du Cambodge est, elle aussi, une section très active. Et, de façon générale, dans beaucoup de camps, on pratique la bibliothérapie : les livres y sont envisagés comme des couvertures qui réchauffent…

F.V. La lutte contre l’illettrisme est également votre cheval de bataille...

W.D. En effet, un fléau extrêmement préoccupant ! Un récent rapport de l’ONU mentionne que 40% des enfants du monde ne savent pas lire. Mais ce handicap ne touche pas que les enfants car un demi-milliard de femmes sont, à ce jour, complètement illettrées. Cette situation est alarmante. Les pays les plus concernés sont, de façon globale, le Soudan, Niger, Oman, Somalie, Afghanistan, Ethiopie… N’oublions pas que l’illettrisme a un coût très important sur l’économie mondiale comme le souligne fréquemment la WLF (World Literacy Foundation).

F.V. Qu’en est-il des actions que vous avez menées favorisant l’accès des petites filles à la lecture ?

W.D. Au cours de mon mandat, j’ai déjà lancé plusieurs appels pour remédier à l’illettrisme des filles, notamment dans les régions dominées par les Talibans. Dans de trop nombreux pays, les jeunes filles et les femmes ne sont pas considérées comme des êtres à part entière, ce qui est ahurissant. Lire émancipe, c’est un instrument contre l’ignorance et la démagogie. Savoir lire est une condition pour mener une vie digne... où que ce soit dans le monde.

F.V. Et dans nos sociétés européennes, encore trop d’enfants n’ont pas accès au livre…

W.D. En effet et, en tant qu’organisation mondiale, nous devons continuer à défendre l’idée que lire est un droit pour tout le monde. Récemment, un bibliothécaire m’a interpellé car, selon lui, on assiste à l’émergence d’une nouvelle élite de jeunes lecteurs : des enfants qui lisent et aiment lire parce qu’ils ont des parents qui peuvent se permettre d’acheter des livres. Dans ce contexte, le combat d’IBBY est de plus en plus d’actualité : les livres doivent être à portée de tous les enfants, ceux venant de familles précarisées, des enfants allochtones, des enfants de réfugiés, des enfants porteurs d’un handicap, des enfants malades.

F.V. La situation de nombreuses bibliothèques publiques européennes préoccupe également votre association qui tire la sonnette d’alarme. Quelle est votre vision de la situation ?

W.D. L’auteur britannique Neil Gaiman a bien insisté sur le fait que la fermeture des bibliothèques menace le futur de nos enfants et IBBY soulignera toujours que nous ne pouvons accepter ce mécanisme mis en place pour des raisons d’austérité, particulièrement en Europe. En Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, la fermeture de bibliothèques et de leurs succursales va à une grande vitesse. En Flandre également, il y a beaucoup de filiales de bibliothèques, notamment de village, qui sont fermées, souvent sans mesure alternative. J’insiste : des bibliothèques dynamiques sont et restent un investissement économique.

F.V. L’importante crise des réfugiés que connaît l’Europe nous confronte également au problème de l’accès à la lecture pour ces personnes. Que fait IBBY ?

W.D. En réponse à cet afflux de milliers d’enfants immigrés, la section italienne d’IBBY a pris l’initiative de créer en 2013 à Lampedusa une bibliothèque pour les enfants et les réfugiés de l’île. Etant donné que la majorité de ces personnes est originaire de régions en guerre d’Afrique et d’Asie, il fallait réfléchir à mettre à leur disposition des livres qui pourraient être lus par les parents dans leur propre langue. C’est pourquoi cette section a choisi de pourvoir la bibliothèque d’une collection d’imagiers, c’est à dire d’albums sans mots. Ceux-ci peuvent être lus par chaque parent et, par après, par d’autres personnes dans le pays d’accueil. C’est dans ce contexte qu’un appel a été lancé à toutes les autres sections afin qu’elles envoient des imagiers en Italie. Ainsi s’est constituée une collection IBBY « Silent books, destination Lampedusa ». Cette collecte en est entretemps à sa deuxième édition.

F.V. La lutte contre la censure est également une de vos priorités.

W.D. La censure est plus proche et plus présente qu’on ne le pense. Les éditeurs d’ouvrages éducatifs aux Pays-Bas donnent à leurs auteurs des listes de sujets qu’ils ne doivent pas aborder au risque d’être invendables dans certaines écoles. Parmi ces thèmes : la sorcellerie, certains sujets sociaux… IBBY s’oppose à cette pratique. Nous estimons que les livres peuvent jouer un rôle essentiel dans l’enseignement et qu’ils sont des moyens importants pour promouvoir des valeurs fondamentales comme l’humanité, la tolérance et l’entente internationale.

F.V. IBBY mène également une campagne de sensibilisation visant à réaffirmer l’importance du livre sensoriel…

W.D. Oui, l’intérêt pour le livre physique est grandissant sur le plan international. En 2014, une recherche internationale affirmait que la préférence de 65% des enfants de 6 à 17 ans allait vers ce type de support. Nous nous réjouissons que l’aspect sensoriel reprenne le dessus par rapport au numérique et encourageons les éditeurs de livres pour enfants à continuer à investir dans ce type de support de lecture.

F.V. Vous êtes auteur de livres traduits dans de nombreuses langues mais également ancien enseignant. Que pensez-vous des méthodes de lecture habituellement utilisées ?

W.D. Je suis un grand adversaire des méthodes qui considèrent la lecture d’un point de vue technique et les différents niveaux de lecture comme sacro-saint. Selon moi, il faut tout recentrer sur le plaisir de lire qui est la clé pour un bon apprentissage. Qui aime lire se développe lui-même automatiquement en tant que lecteur. Depuis 2000, les écoles danoises ont changé leur stratégie d’enseignement de la lecture et se concentrent essentiellement sur le plaisir de lire. Cette méthode semble porter ses fruits puisqu’une enquête a démontré que 61% des enfants danois aiment lire durant leur temps libre des livres de leur propre choix.

F.V. En tant qu’écrivain, quel rôle les bibliothèques ont elles joué dans votre parcours ?

W.D. Je suis devenu ce que je suis grâce à mes nombreuses lectures et j’ai un véritable penchant pour les bibliothèques de par mon histoire personnelle. Avant ma dixième année, ma mère m’achetait chaque mois un livre chez le libraire. Je pouvais également chaque mois choisir un livre à l’école et l’emmener à la maison. Mais ces deux livres par mois ne suffisaient guère à combler le lecteur vorace que j’étais. Tout a changé à mes onze ans lorsqu’on a construit une petite bibliothèque dans mon village. Je pouvais dès lors lire ce que je voulais et mon appétit de lecture s’en est trouvé assouvi. Je suis très reconnaissant à ce bibliothécaire...

F.V. En 2006, votre nom a intégré l’"Oxford Encyclopedia of children’s literature » : une belle reconnaissance…

W.D. Le fait d’être repris comme auteur dans cette encyclopédie prestigieuse avec des personnalités comme Carll Cneut, Bart Moeyaert ou Hergé était une surprise étonnante et une première reconnaissance internationale de mon travail en tant qu’auteur.

F.V. Quels seraient vos souhaits en guise de conclusion ?

W.D. La mission d’IBBY me tient particulièrement à cœur. Je souhaite que chaque enfant puisse se développer en tant que lecteur pour pouvoir, comme adulte, se défendre contre toute forme de démagogie et d’extrémisme. Chaque enfant a de surcroît droit à une littérature de qualité. Qui sait lire reçoit les moyens d’améliorer le monde.

Propos recueillis par Françoise Vanesse
Bruxelles, Foire du livre, mars 2016

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Quelques actions emblématiques menées par IBBY de par le monde…

… Sans oublier les nombreuses actions menées par les sections nationales.

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Les coups de cœur littéraires de Wally De Doncker

Un livre

SHAUN TAN, Là où vont nos pères, Dargaud, 2014
« Un livre au thème plus que jamais d’actualité – l’émigration, traité sous forme de récit onirique pour acquérir la force d’une histoire universelle. »

Un album

GERMANO ZULLO et ALBERTINE, Mon tout petit, La joie de lire, 2015
« Un livre d’une grande beauté et délicatesse »

Une œuvre d’art

Le mesureur de nuages de Jan Fabre

Un film

Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet

Une musique

Casta Diva de Bellini