Publié le 17 octobre 2013, par
Après une carrière de quarante-trois ans consacrée, notamment, à initier ou à prendre en charge des projets de promotion de lecture et de littérature que ce soit en tant qu’instituteur, animateur culturel, formateur ou bibliothécaire-directeur, Jean-Claude Tréfois continue aujourd’hui d’entretenir le fil rouge qui anima toute sa carrière : tenter de combattre l’accès inégalitaire au livre, permettre la confrontation des idées et rompre l’isolement par le biais d’animations de Lecture Vivante parfois en collaboration avec des écrivains. En ce début d’année scolaire il évoque, avec la passion et la détermination qui le caractérisent, en quoi son parcours professionnel empreint d’importante mobilité et de cohérence lui a permis de se forger un regard transversal sur la lecture et l’a sensibilisé à l’importance de sa médiation au sein, notamment, de l’enseignement.
F.V. : En tant que jeune instituteur, vous avez toujours été vigilant à offrir du livre et de la culture une image très vivante, ancrée dans l’échange et le partage. Était-ce une démarche que vous envisagiez comme novatrice ?
J-C.T. : Il est vrai que, déjà à l’Ecole normale provinciale de Morlanwelz en 1960, j’avais organisé une bibliothèque de classe. C’était le début du livre de poche, des livres à des prix dérisoires, absolument merveilleux... Ensuite, j’ai été à l’origine de la création d’un Ciné-club et d’un Journal et, en raison de ces initiatives, j’ai reçu le Prix du Hainaut qui consistait en un stage chez « Peuple et Culture » en France. Là, ce fut un véritable déclic ! J’ai eu en effet la grande chance de rencontrer Benigno Cacérès , initiateur des Clubs de lecture et j’ai pris conscience qu’il existe des techniques d’animation susceptibles de donner l’envie de découvrir une œuvre. En tant qu’instituteur, j’ai toujours gardé l’habitude de disposer d’un stock de livres que je mettais dans la classe à la disposition des élèves et j’organisais régulièrement des Heures du conte. J’avais à l’époque une population très défavorisée, j’étais au Bois du Cazier avec sept nationalités dans la classe et je renouvelais mon stock de livres tous les 15 jours. Était-ce novateur à l’époque ? Je n’en sais strictement rien mais je me souviens que ma collègue, qui pourtant s’adressait au même public que moi, avait, il est vrai, une conception plus « classique » de la bibliothèque.
F.V. : Que vous ont principalement apporté ces deux années sur le plan professionnel ?
J-C.T. : Je ne suis pas resté longtemps instituteur mais, si je devais retenir un élément essentiel, c’est que j’ai pris conscience de l’importance des inégalités sociales que j’étais loin d’imaginer de par mon origine familiale. En effet, en côtoyant ces enfants, qui étaient de très bonne volonté, je me suis rendu compte que l’accès au livre et à la lecture est quelque chose de peu démocratisé. Ce constat m’a fait évaluer à quel point l’école reste le lieu privilégié où l’on peut tenter de donner ce que le milieu familial ne peut offrir. Celui qui ne va pas au théâtre, au concert, au musée avant dix-huit ans aura, hélas, peu de chance d’y aller par après !
F.V. : En quoi cette prise de conscience a-t-elle influé sur les priorités qui furent les vôtres dans la suite de votre carrière ?
J-C.T. : Toute ma carrière, j’ai tenté de combattre l’accès inégalitaire au livre et à la lecture et j’ai toujours mis l’accent sur les écoles. Quand je suis entré à la Maison de la Culture de Charleroi, nous avons formé des animateurs en Lecture Vivante. A un moment, nous en sommes arrivés à prendre en charge, grâce à toute une équipe, cinq cents clubs de lecture par an dans les écoles ! Notre priorité était de faire la promotion de la littérature de notre pays. J’avais d’importants moyens financiers à l’époque qui nous permettaient, par exemple, de monter des expositions littéraires qui ont d’ailleurs beaucoup voyagé ou d’acheter les mêmes titres en plusieurs exemplaires pour les laisser à disposition des élèves en fin de séance. Nous avions aussi un cycle de théâtre qui visait à promouvoir les auteurs belges que les élèves rencontraient. Ensuite, quand je suis entré à la Province en tant que bibliothécaire-directeur, des formations pour disposer d’animateurs en Lecture Vivante ont été organisées. Des enseignants et d’autres responsables d’associations culturelles s’y sont initiés aux techniques de Club de lecture : analyse, découpage et initiation à la discussion mais aussi gestion de la rencontre avec les écrivains.
F.V. : Concrètement, comment ces animations Club de lecture fonctionnent-elles ?
J-C.T. : Tout dépend évidemment de la classe et du professeur. Il y a plusieurs formules. Parfois, il s’agit de faire découvrir une oeuvre que le professeur souhaite étudier ultérieurement plus en profondeur. C’est particulièrement le cas lorsque l’on souhaite aborder un thème comme par exemple le Fantastique. Mais parfois, l’animation peut préparer la venue d’un écrivain. Assez souvent, il s’agit presque d’une entreprise de réhabilitation de la lecture : montrer qu’un texte peut concerner les jeunes, leur donner du plaisir, les inciter à la réflexion, leur faire vivre les bienfaits du partage des opinions sans que l’animateur ne tranche jamais, ni ne dévoile l’épilogue (puisque, la plupart du temps, il s’agit de lectures partielles). Mais aussi, il est vrai, espérer que les élèves poursuivent la lecture après l’animation d’où l’intérêt que des livres, en plusieurs exemplaires, soient à leur disposition après chaque séance. L’idéal pour cela, évidemment, c’est qu’elles se déroulent en bibliothèque ! Notons à ce propos que de plus en plus de bibliothèques ou cercles d’éducation permanente accueillent aussi des clubs de lecture. Je suis très heureux d’y participer !
F.V. : Ces moments de rencontres avec les écrivains, on perçoit qu’ils vous ont toujours tenu à cœur…
J-C.T. : Oui, j’ai souvent mis l’accent sur les rencontres avec les écrivains. Pour des adolescents la rencontre avec l’auteur est toujours un moment fantastique surtout quand elle est bien préparée. Elle leur permet de dialoguer avec l’auteur. Grâce à ces échanges, le lecteur s’approprie davantage le livre comme un auteur. Mais, au-delà de l’animation en elle-même, je suis convaincu qu’il est important d’offrir aux jeunes ces moments de rencontres avec des personnalités phares, d’offrir cette possibilité de déclic qui peut être déterminante dans une vie ou un parcours professionnel. C’est injuste de penser qu’il y a des ados qui ne vont jamais avoir l’opportunité de rencontrer des personnes qui puissent les dynamiser…
F.V. : Précisément quelles sont les rencontres qui ont été importantes dans votre vie ?
J-C.T. : J’ai eu en effet la grande chance de vivre des rencontres qui m’ont apporté beaucoup et qui ont été déterminantes tant dans ma vie que dans ma carrière professionnelle. Je citerai, Jacques Losson, directeur de l’Ecole Normale Provinciale de Morlanwelz, un maître à penser. Mais aussi Achille Béchet à l’époque Adjoint culturel à la Province du Hainaut ainsi que Bénigno Cacérès. Ces rencontres ont notamment suscité chez moi l’envie de continuer à me former et ont induit un parcours professionnel fait de grande mobilité. J’ai aussi bénéficié de beaucoup de passerelles ce qui m’a permis de poursuivre des études jusqu’à l’Université. Je pense que la mobilité est essentielle et que le système dans lequel nous vivons est trop rigide et n’encourage pas suffisamment le mouvement. Des passerelles officielles entre le monde de l’enseignement, de l’animation, de la lecture publique par exemple devraient davantage être prévues.
F.V. : Quels sont les auteurs qui ont compté dans votre parcours d’animateur ?
J-C.T. : Une longue carrière en la matière m’inciterait à en citer beaucoup. Certains, maintenant décédés, étaient absolument extraordinaires devant les élèves : Paul Willems, Thomas Owen, Jean Muno, Roger Foulon, Charles Bertin. D’autres acceptaient, malgré un emploi du temps chargé, ce dialogue parfois difficile : Pierre Mertens, Pierre Coran, François Emmanuel, Bernard Tirtiaux, Françoise Houdart, Jean Louvet, Marcel Moreau, Toni Santocono, pour ne citer qu’eux. Récemment, j’ai travaillé avec Colette Nys-Mazure et actuellement, c’est avec Armel Job que je collabore le plus et c’est un véritable plaisir pour moi (et aussi les auditeurs !).
F.V. : C’est aussi dans cette synergie de la rencontre qu’aujourd’hui vous envisagez une des missions essentielles des bibliothèques publiques ?
J-C.T. Oui, certainement, les bibliothèques doivent en effet être des lieux de rencontre, des lieux conviviaux, j’en ai toujours été convaincu ! Savez-vous que j’ai dû batailler pour que, dans ma salle de lecture, l’on puisse boire un café et que des gens se rencontrent pour parler de livres ou d’autres choses ? Aujourd’hui, à La Louvière, il y a des midi-historiques : tous les 15 jours, un historien vient parler d’un sujet pour lequel le bibliothécaire a préparé une sélection de livres et cela marche du tonnerre ! Je pense également que la crise est un défi pour les bibliothécaires qu’il faudrait peut-être former davantage à ce travail difficile d’animation et d’accueil d’un public fragilisé. A Manage, il y a un Club de lecture dont le public est composé pour moitié de lecteurs plus habituels et pour l’autre moitié de lecteurs de nationalité arabe. Il faut le vouloir et surtout, oser !
F.V. : Alors que vous êtes à la retraite depuis huit ans, vos animations de Club de lecture continuent de retenir une grande partie de vos activités actuelles. Etes-vous parfois invités dans l’enseignement technique et professionnel ?
J-C.T. : Oui, mais sans doute moins fréquemment et c’est dommage car il s’agit d’un public fantastique qu’il faut intéresser, convaincre...un vrai challenge. Lorsque j’y organise des animations, je constate que les échanges après lecture sont souvent empreints d’une grande sincérité et d’une lucidité par rapport à la vie. Je pense que la rareté relative de ces rencontres dépend surtout du manque d’informations des enseignants et du fait que certains craignent (bien à tort) que leurs étudiants ne se montrent pas à la hauteur !
F.V. : Depuis quelques mois, fidèle à la mobilité qui a toujours animé votre parcours, vous allez vers de nouveaux publics et organisez des Clubs de lecture en Maisons de repos et pour les aveugles. Quels objectifs poursuivez-vous dans cette approche ?
J-C.T. : Je souhaite simplement procurer à ceux que la perte partielle ou totale de la vue prive du plaisir de lire une occasion d’entrer dans des textes intéressants et surtout de réagir verbalement à leur propos. J’espère contribuer ainsi à les sortir un peu de leur isolement.
F.V. : En tant qu’animateur, que vous apporte cette rencontre avec les différents publics ?
J-C.T. : Même après des centaines d’animations, je ne suis jamais lassé de lire devant un public tant le fait de susciter l’attention durant une lecture relève d’un véritable miracle. Il est vrai que la qualité du texte est ici essentielle mais je crois aussi à l’enthousiasme que j’y mets. En outre, la partie "Echanges" m’a toujours passionné. Je ne me lasse pas d’écouter les gens exprimer leurs opinions, parfois leurs expériences, leurs souvenirs, avec émotion. Je reste souvent admiratif devant les interprétations qu’ils donnent du texte et devant la complémentarité et la richesse des échanges.
F.V. : Avez-vous d’autres projets pour rencontrer des publics encore différents et plus inhabituels ?
J-C.T. : J’aimerais être mandaté par un pouvoir public pour faire de courtes lectures dans des lieux publics : gare, parcs, marchés... J’aurais devant moi une série de livres dont je lirais des extraits à la demande durant quelques minutes. J’ai assisté à pareille expérience lors d’un congrès des bibliothécaires français. Je l’ai tentée modestement dans le cadre de la Foire du Livre de Casablanca. Par ailleurs, un projet fort intéressant de lecture dans les prisons n’a malheureusement pu se concrétiser. Partie remise peut-être ? J’aimerais aussi être accueilli dans des lieux où des jeunes sont accueillis volontairement ou par décision de justice. Enfin, si je puis exprimer un souhait en guise de conclusion : voir un pouvoir public en charge de la lecture prendre l’initiative de rassembler, pour une réflexion commune, tous ceux et celles qui pratiquent cette technique d’animation. On ne dira jamais assez combien est grande la solitude de l’animateur !
Propos recueillis par Françoise Vanesse,
Charleroi, le 25 avril 2013
Jean-Claude Trefois
39, rue du Ruisseau
6110 Montigny-le-Tilleul
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