Les Spectateurs

Publié le 3 avril 2019, par Sylvie Hendrickx


Un roman complexe et bouleversant qui explore la crainte et les non-dits de l’exil à travers les yeux d’un enfant.

AZOULAI Nathalie, Les Spectateurs, P.O.L, 2018

Autour de personnages anonymes, aux origines géographiques floues, et pourtant terriblement incarnés, Nathalie Azoulai, Prix Médicis pour son précédent roman Titus n’aimait pas Bérénice (P.O.L, 2015), livre ici un récit magistral à la force d’évocation puissante et à la portée universelle.

Le 27 novembre 1967, dans un petit appartement de banlieue parisienne, un jeune garçon découvre avec ses parents une conférence de presse du Général de Gaule, Président de la République. Au cours de celle-ci, il réalise brutalement qu’il pourrait être amené à quitter la France, tout comme ses parents ont dû fuir leur pays d’origine douze ans auparavant. C’est autour de ce discours télédiffusé, véritable point de rupture dans la vie de l’enfant, que se déploie la temporalité complexe et quelque peu déstabilisante de ce récit qui opère des allers et retours vers les jours et les années qui ont précédés ou suivis cet événement. Car depuis lors l’enfant n’a de cesse de sonder ce passé familial dont on ne lui dit rien. Pour reconstituer ce temps de l’exil où lui-même était encore dans le ventre de sa mère, il s’emploie à observer le monde des adultes, leurs attitudes et bribes de conversations. Et en particulier celles de sa mère, personnalité fascinante, solaire, obnubilée par les vedettes hollywoodiennes des décennies 30 à 50. Gravitant au milieu de cette situation affective trouble, il y aussi la petite sœur, âgée d’un an, dont la luxation congénitale de la hanche pourrait résulter d’un choc émotionnel passé. Petite alliée, face à des parents détenteurs d’une langue devenue étrangère, elle représente pour le jeune garçon un futur, des espoirs mais aussi des préoccupations communes : « Est-ce que l’on sait pourquoi les gens partent ou ne partent pas ? », Devant les grands bouleversements de l’Histoire, sommes-nous condamnés à demeurer spectateurs ? Bien décidé à s’immuniser avec sa soeur contre la peur des départs, il entreprend de lui apprendre le français mais aussi toutes les langues qu’il pourra faire siennes et qui, plus légères que les valises, s’emportent partout avec soi.