Le regard de Lisette Lombé, romaniste, auteure, artiste et formatrice en slam et en poésie

Rencontre en reconfinement, 1 décembre 2020

Publié le 16 décembre 2020, par Françoise Vanesse


Cette période de reconfinement s’ancre dans un contexte particulièrement difficile pour les secteurs culturels et associatifs. Très heureusement, les librairies et les bibliothèques, considérées comme des services essentiels, permettent à une partie du secteur, déjà fort fragilisé lors de la première vague, de peu à peu se redéployer. Des observateurs originaires de la sphère du livre et de l’associatif ont très aimablement répondu à notre invitation et ont accepté de s’exprimer sur ce contexte particulier, vecteur de fragilités mais également de positives initiatives.

Crédit photo Manon Royer

F.V. Voici maintenant un mois que nous vivons cet épisode de reconfinement qui, fort heureusement, présente un visage quelque peu plus réconfortant en ce qui concerne, en tout cas, la décision de considérer comme essentielles les libraires et les bibliothèques. Etiez-vous confiante par rapport à cette décision ?

L.L. Comme beaucoup de personnes qui aiment lire ou dont le travail est lié, de près ou de loin, aux livres, j’ai éprouvé un sentiment de soulagement en entendant que les librairies allaient rester ouvertes en Belgique. D’autant plus qu’en France, la fermeture généralisée et le couvre-feu avait mis un terme prématuré à la tournée de promotion de mon nouveau recueil. Le matraquage des médias a surtout mis le focus sur les librairies et j’avoue qu’il aura fallu qu’une amie bibliothécaire poste une réflexion sur ses réseaux pour que je me rende compte à quel point les bibliothèques étaient restées dans l’angle mort de la communication durant toutes ces semaines. Cela m’a renvoyée à des questionnements concernant ma propre consommation du livre, concernant le lien entre lecture et classe sociale, entre lecture et écoles. Ce n’est pas forcément agréable de devoir faire le constat, après s’être ruée chez son libraire, qu’on appartient à une catégorie privilégiée de la population et que lire, dans ce cadre-là, est un petit luxe. Je suis une ambassadrice à vie du caractère essentiel des livres mais la question de l’accessibilité à cet imaginaire s’est reposée de manière criante pour moi à ce moment-là. Le confinement aura creusé un fossé à bien des endroits.

F.V. De nombreux relais semblent en effet davantage mis en place pour soutenir le secteur culturel particulièrement impacté. Parmi ceux-ci, « La nuit des écrivains » à laquelle vous avez participé ou l’émission « Tout le bazar » de la RTBF qui a mis en valeur votre travail et la démarche poétique dans son ensemble. Quel bilan en faites-vous ?

L.L. Il ne se passe pas un jour sans que je n’éprouve de la gratitude pour tout ce qui m’arrive. En signant mon contrat avec une maison d’édition française juste avant le confinement du printemps, c’est comme si j’avais sauté dans le dernier wagon du dernier train, juste avant que les portes ne se referment. Depuis quelques mois, je saisis à quel point la vie d’un livre dépend de facteurs étrangers à ses qualités intrinsèques. D’abord, la diffusion. C’est frustrant de voir le destin de son recueil de poésie s’arrêter à la frontière. Mes livres n’étaient disponibles, en France, que dans la librairie du Centre Wallonie-Bruxelles de Paris. Les savoir à présent potentiellement disponibles dans toutes les librairies belges et françaises, c’est assez valorisant. Puis, il y avait aussi l’aspect communication. La chargée de relation presse pour les Editions de l’Iconoclaste en Belgique, Nathalie Dekeyser, de l’Agence Levens, fait un travail remarquable. C’est à elle que je dois une visibilité dans les médias, sans précédent. Pour la poésie, c’est inédit cette rencontre avec le grand public. Ceci dit, depuis le confinement, les poètes ont été beaucoup plus visibilisés. Je pense, par exemple, à l’action des Fleurs de Funérailles impulsée par le Poète National, Carl Norac ou les lectures hebdomadaires de Laurence Vielle sur Musiq 3.

F.V. Dans votre très récent livre « Brûler, brûler, brûler », sorti en 5000 exemplaires chez un éditeur français, on découvre des textes particulièrement engagés envers les causes antiracistes et en soutien à toutes les minorités. En quoi ce poing levé, qui constitue le fondement même de votre démarche, arrive-t-il à point nommé en cette période si névralgique sur le plan national mais aussi international ?

L.L. La crise que nous traversons est une épreuve terrible pour les corps, pour les âmes et pour la solidarité. On a l’impression que les inégalités sociales ont explosé et que toutes les défaillances de notre système occidental ont éclaté encore plus au grand jour. Le navire capitaliste ne prend pas l’eau, ce sont les petites embarcations de fortune du service public qui sont en train de trinquer et d’écoper pour sauver une grosse partie de la population de la noyade. Ma poésie est un miroir de ce monde entre deux époques, de cette fin de cycle. Mes personnages sont en quête de respect. Ils ne veulent plus être assignés à leur altérité. Les mots les réparent en dignité. Se tenir debout avec fierté les réhumanise. J’avais peur que mon slam cogne trop en ce moment, que les lecteurs et les lectrices soient plus en attente de douceur que de colère mais les retours m’apprennent qu’être respecté est aussi vital qu’être aimé. J’avais peur aussi que mes revendications féministes, qui se donnent à entendre dans certains textes du recueil, n’apparaissent comme déplacées par rapport à d’autres urgences, sanitaires, économiques. Finalement, c’est l’inverse qui m’est renvoyé. Alors que tous les chiffres en matière de violence intrafamiliale explosent depuis le début du confinement, le fait de redire, dans le langage poétique qui m’est propre, que les corps ne sont pas égaux par rapport à cette claustration collective inédite et que certaines femmes et enfants ont vu s’aggraver les risques pour leur intégrité physique depuis quelques mois, le fait de redire ça, de faire connaître ces réalités-là, est capital.

F.V. Vos textes poétiques particulièrement percutants et ancrés dans la réalité sont-ils une façon très dynamique de mieux valoriser la poésie en bibliothèque et de pouvoir toucher une importante variété de lecteurs ?

L.L. Je n’écris pas en pensant à dépoussiérer ou à rendre plus accessible la poésie. J’écris juste de la poésie. Je ne suis naturellement pas portée vers les écrits hermétiques. Si je dois utiliser un dictionnaire toutes les trois lignes pour pouvoir comprendre un texte, ce dernier risque de me tomber des mains. J’écris en lien avec ce qui bouillonne dans mon ventre, avec ce qui me choque dans le monde. J’aime les formes courtes qui laissent de la place pour une multitude d’autres paroles. Peut-être que la combinaison entre simplicité de l’écriture, format slam de moins de trois minutes et sujets brûlants d’actualité explique en partie la belle réception de mes textes. Je pense que mon parcours personnel et professionnel peut aussi expliquer pourquoi il m’importe d’intervenir dans des lieux comme les établissements scolaires ou les bibliothèques. Mes parents sont de grands lecteurs qui ont toujours cru en l’ascenseur social grâce aux études. Je suis une ancienne enseignante et formatrice dans le secteur de l’éducation permanente. La dimension cathartique de la littérature, la poésie hors-les-murs et la bibliothérapie sont des terrains de recherche. En tant que maman de trois enfants, j’observe aussi combien il faut des portes d’entrées ouvertes sur ce que cette jeunesse-là aime et combien la notion de plaisir est importante pour que le goût de la lecture ne se perde pas trop tôt en chemin. Cela relève de la responsabilité des adultes de soigner l’accueil des jeunes au pays des mots.