Le Levant

Publié le 7 octobre 2019, par Sylvie Hendrickx


Epopée onirique de l’âme poétique roumaine

Mircea CARTARESCU, Le Levant, P.O.L, 2014

Se plonger dans l’univers onirique des romans de Mircea Cartarescu, c’est s’offrir un voyage littéraire détonnant, porté par la fougue créatrice de cet auteur majeur de la littérature contemporaine qui, à travers son œuvre prolifique, se joue de tous les codes et se renouvelle sans cesse. Que ce soit à travers sa trilogie Orbitor, véritables romans-monde, traduite en français par les éditions Gallimard et Denoël ou à la lecture de ses autres romans, le lecteur peut en effet s’attendre à être déstabilisé, perdu peut-être mais surtout ébloui et transporté ! Et Le Levant ne fait pas exception, bien au contraire ! Si l’auteur y ressuscite avec bonheur l’épopée dans toute sa splendeur, il amène surtout ce genre dans une étonnante modernité entre humour, intertextualité et poésie précieuse. Au cœur d’un 18e siècle fantasmé, sublimé par toute la coloration orientale de cette époque de domination ottomane, nous suivons les aventures héroïques de Manoïl, jeune marin poète, qui entreprend de libérer son peuple roumain opprimé par le joug de la tyrannie. Dans cette quête, il sera secondé par des personnages hauts en couleur tels que des pirates grecs, des brigands tsiganes ou encore sa sœur, la belle Zénaïde et son amoureux transi. Mais ce récit est bien loin de se réduire à cette trame assez conventionnel, où transparait le rêve d’une Roumanie démocratique que l’on a tôt fait de mettre en lien avec la période de fin du régime communiste durant laquelle Mircea Cartarescu écrit ces lignes. En effet, d’une manière bien plus universelle, c’est avant tout le rêve et la poésie qui se trouvent portés au pouvoir au cœur de ce roman. Et ce, par l’intervention d’un narrateur omniprésent et facétieux, grand marionnettiste assumé, qui remplit son récit d’évocations poétiques ou de pastiches littéraires et ouvre aux lecteurs les coulisses de son processus de création. A ceci s’ajoute l’envoûtement d’une langue onirique, précieuse et sensuelle, nourrie de métaphores et de termes rares, archaïsmes hellénistiques et balkaniques : caïque, pallikares, voïvode ou boyard… Qui, s’ils peuvent étourdir ou freiner l’avancée du lecteur, nous transportent dans un ailleurs flamboyant et se savourent, grâce à la prouesse que représente cette époustouflante traduction de Nicolas Cavaillès.