Publié le 7 octobre 2019, par
En cette période de rentrée scolaire, nous nous rendons dans la commune de Saint-Nicolas en périphérie liégeoise, et plus précisément dans le quartier du Lamay, pour y rencontrer Raphik Saket, chargé de missions, et Sophie Bettonville, animatrice à l’école de devoirs de l’asbl Laméa. Dans ce quartier qui englobe l’ancien site minier du terril du Gosson et la Cité du Pansy, la mémoire du passé houiller est prégnante tandis que le tissu social précarisé et en mutation est constitué de familles issues d’une immigration récente ou liée à l’ancienne exploitation des charbonnages. C’est en réponse aux sollicitations de ce public fragilisé que l’asbl a mis en place, dès 1984, son école de devoirs. Reconnue par l’ONE en 2014, celle-ci poursuit aujourd’hui un objectif d’éveil et d’émancipation culturel qui se traduit notamment par la valorisation de la lecture plaisir et la mise en place d’un audacieux ciné-club.
Dès notre arrivée, la façade atypique de l’asbl retient notre attention. En lettres rouges, l’inscription « Cercle du Pansy » témoigne de l’histoire de ce bâtiment qui a abrité tour à tour une salle des fêtes, un café des mineurs et un petit musée de la mine. En surplomb, une statue de Saint Joseph rappelle quant à elle les origines de l’asbl, une ancienne association caritative, « Les œuvres de la Paroisse du Lamay », fondée en 1926. Ce n’est que plus récemment, en 2014, que l’asbl, portée par une nouvelle équipe, adopte l’appellation Laméa, ancien nom donné au quartier du Lamay, et relance une série d’activités. Outre son école de devoirs, l’asbl Laméa organise une distribution de colis alimentaires, un café-tricot, un Repair café et encourage la vie associative du quartier en louant ses locaux à des tarifs préférentiels pour des événements ponctuels.
La porte franchie, nous voici dans la salle principale de l’EDD qui accueille chaque soir de la semaine une douzaine d’enfants de 6 à 12 ans. Peinte en couleurs vives, cette grande pièce présente des allures de salle de classe avec, d’une part les bureaux des membres de l’équipe, Raphik Saket et Sophie Bettonville mais aussi Denise Pecora, responsable administratif, et d’autre part les tables où se déroulent les activités et l’aide aux devoirs. En guise de semi-séparation entre ces deux espaces, une rangée d’étagères offre à la bibliothèque une place quelque peu exigüe mais néanmoins centrale. Sur ses rayonnages, des ouvrages de référence (Bescherelle, dictionnaires imagés,…), des documentaires, des livres jeunesse et quelques bandes dessinées. Un petit fonds varié mis en place suite au généreux don de livres d’une bénévole et toujours en évolution. « Nous consacrons une part des subsides de notre reconnaissance EDD à l’achat de nouveautés, explique Sophie Bettonville, avec comme priorité des albums de qualité et l’abonnement à différentes revues. »
Pour Sophie Bettonville, accompagner les enfants vers la lecture plaisir ne s’improvise pas. Suite à la création de cette petite bibliothèque, elle décide de se former et participe en 2016 à la formation « Lire avec les enfants, tout un programme ! » organisée par la FIBBC en partenariat avec l’AEDL (1) et prise en charge par Kathleen Simonis, formatrice en littérature jeunesse. « Découvrir la richesse et la diversité de la production jeunesse m’a véritablement éblouie, nous confie l’animatrice avec enthousiasme. Cela m’a permis de réaliser que l’album n’est pas destiné qu’aux tout-petits mais peut constituer une porte d’entrée vers le livre particulièrement intéressante pour notre public des 6-12 ans, souvent réfractaire à la lecture. » Afin de proposer aux enfants des albums variés capables de susciter la curiosité, Sophie Bettonville se rend depuis lors régulièrement en bibliothèque publique où elle emprunte des albums choisis pour leur intérêt graphique qui sont mis en évidence et à disposition des enfants au sein de l’EDD.
D’autre part, la présence de cette bibliothèque à l’EDD ne remplace pas, selon l’animatrice, l’intérêt de la sortie mensuelle à la bibliothèque communale Emile Jeanne de Saint-Nicolas, située à deux rues à peine. « Il est particulièrement important de prendre un véritable temps à la bibliothèque afin que les enfants puissent découvrir, feuilleter et se poser. La bibliothécaire est très accueillante et le coin lecture particulièrement cosy fait que les enfants s’y sentent bien. » Cette démarche qui s’inscrit dans l’esprit d’émancipation culturelle de l’EDD se révèle d’autant plus importante que les enfants côtoient rarement la bibliothèque en famille, bien que celle-ci communique avec les bâtiments de l’école. « Nous constatons en effet que certains parents préfèrent passer par notre intermédiaire pour faire une carte de bibliothèque à leur enfant ou rendre les livres empruntés », explique l’animatrice.
Autre constat, les enfants lisent avec plaisir lorsqu’ils sont à la bibliothèque mais ne se plongent plus spontanément dans les ouvrages empruntés une fois revenus à l’EDD. Une incitation nouvelle s’avère nécessaire, c’est pourquoi les deux animateurs proposent régulièrement des moments de lecture qui ne sont pas planifiés au hasard. « Nous avons observé qu’il est primordial de placer ces temps de lecture avant les devoirs afin qu’ils soient perçus avec plaisir comme une pause récréative. Si nous proposons la lecture après les devoirs, celle-ci devient une contrainte supplémentaire, voire une punition », souligne Raphik Saket.
Sophie Bettonville, pour sa part, souligne l’importance de sortir du rapport passif à la lecture qui peut être ressentie par certains comme ennuyeuse. Dans cette optique, elle propose aux enfants de rejouer les dialogues d’albums particulièrement expressifs ou encore d’imaginer des histoires à partir d’albums sans texte. Un type de démarche qu’elle souhaiterait plus systématique dans le futur, malgré les contraintes de temps liées aux réalités de terrain. Autre projet qui lui tient à coeur, aménager un coin lecture qui, à l’image de celui de la bibliothèque, invite davantage les enfants à se poser pour découvrir les livres.
Autre pôle important des actions culturelles de cette EDD, le ciné-club accueille les enfants, un mercredi après-midi par mois, dans une salle aménagée, disposant d’un large écran blanc. Une installation de qualité qui permet par ailleurs à l’asbl de proposer des projections à la carte pour les écoles du quartier. « Notre objectif en créant le ciné-club était de diversifier l’offre culturelle proposée aux enfants qui bénéficient déjà par ailleurs d’activités créatives à la Maison de quartier toute proche », explique Raphik Saket, initiateur du projet et véritable passionné de cinéma. Ces séances de projection, en présence d’un animateur, se particularisent par une programmation ambitieuse qui n’hésite pas à proposer aux enfants un cinéma réputé plus difficile, tel que le cinéma muet. « Au départ, les enfants ont des préjugés envers tout ce qui est vieux et forcément nul. Puis, petit à petit, on les voit s’y intéresser autrement et véritablement apprécier des personnages campés par des acteurs mythiques comme Buster Keaton ou Charlie Chaplin. C’est une façon de leur enseigner la tolérance et l’ouverture autrement que par des discours », souligne-t-il.
Et pour offrir aux enfants un encadrement de qualité, Raphik Saket et Sophie Bettonville peuvent compter sur l’aide précieuse et indispensable de huit bénévoles leur permettant de fonctionner, au niveau de l’aide aux devoirs, avec un adulte pour accompagner trois enfants. Autre force de cette asbl, la gestion de deux salles de fête situées à l’arrière du bâtiment qui assurent l’emploi à temps partiel des trois membres de son équipe. Une stabilité, loin d’être la norme dans le secteur des écoles de devoirs, et qui, souhaitons-le, devrait permettre à ces animateurs en constante recherche d’évolution de continuer à mettre l’accent, au cœur de leurs projets, sur l’accès à la lecture et sa valorisation.
(1) AEDL : Association des Ecoles de Devoirs en province de Liège
Rue Pansy, 294
4420 Saint-Nicolas
www.lamea.be
© FIBBC 2004 - 2024 Politique de Confidentialité