Avec Gabriel Ringlet, prêtre et écrivain

Publié le 5 janvier 2017, par Sylvie Hendrickx


Dans le petit village de Malèves-Sainte-Marie, au cœur du Brabant Wallon, nous découvrons le charmant quartier du Prieuré avec son église romane et ses maisons aux allures d’anciennes fermes typiques. C’est dans ce cadre paisible que nous accueille Gabriel Ringlet pour nous partager, en toute simplicité, son parcours sans cesse à la croisée des chemins entre ses vocations de prêtre, journaliste et écrivain. Membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et Vice-recteur émérite de l’Université catholique de Louvain, Gabriel Ringlet est aussi homme de terrain engagé auprès de différents publics dont les personnes en fin de vie. A travers les multiples facettes des actions qu’il déploie notamment au Prieuré, il n’a de cesse de jeter des ponts entre actualité et Evangile et de mettre en dialogue la pluralité des convictions.

Spiritualité et actualité

S.H. Depuis près de trente ans, vous accompagnez au Prieuré de Malèves-Sainte-Marie un projet original de dialogue entre dimensions spirituelles, philosophiques et artistiques. Comment s’articule ce projet ?

G.R. Le Prieuré, c’est avant tout une équipe issue d’horizons aussi divers que l’enseignement, le travail social, l’entreprise ou la pastorale… Ensemble, nous élaborons un programme dont le but majeur est de proposer de relire et de traverser l’actualité parfois difficile ou dramatique en la mettant en relation avec l’Evangile mais aussi avec des œuvres de créateurs d’imaginaires qu’il s’agisse de romanciers, poètes, gens de théâtre ou de cinéma. C’est une approche très stimulante.

S.H. A travers votre démarche résonne la difficulté de faire entendre l’Evangile dans toute l’ampleur de son actualité ?

G.R. En effet, Jésus déjà utilisait la littérature, à travers les paraboles, pour faire entendre son message. Il partait des faits divers de son temps et relisait à sa manière l’actualité. C’est d’une grande modernité ! Mais l’Eglise au fil du temps a figé et codifié tout cela. Elle s’est, me semble-t-il, de plus en plus éloignée des préoccupations de son temps. L’enjeu n’est évidemment pas d’être à la mode mais bien d’être incarné au cœur de la vie réelle. Je rencontre, par exemple, beaucoup de jeunes créateurs qui seraient heureux de mettre leur talent au service d’une paroisse ! L’Eglise doit oser sortir des sentiers battus et rencontrer la culture contemporaine, la littérature et la poésie.

S.H. Concrètement, comment cette rencontre entre culture contemporaine et spiritualité se vit-elle au Prieuré ?

G.R. Toutes les célébrations au Prieuré se vivent en compagnie d’artistes et de personnalités intégrés de très près à la célébration, y compris dans l’écriture de l’homélie. Par exemple, un soir de Pâques, nous avons reçu l’épouse et la fille de Jacques Brel et construit ensemble la liturgie en y insérant les chansons de ce grand poète. C’était magnifique car les textes choisis disaient parfaitement la lumière, le feu et l’eau, essentiels dans la célébration pascale. Evidemment la préparation de telles célébrations demande un énorme travail de réflexion et de construction du sens.

S.H. Tous ces invités partagent-ils votre foi ?

G.R. Pas du tout ! Le Prieuré accueille des personnalités croyantes ou non mais toujours habitées par une préoccupation spirituelle. Je suis en effet convaincu que la spiritualité n’est pas exclusivement réservée à la religion. Une personne engagée dans une telle réflexion se pose la question de la transcendance : qu’est-ce qui donne souffle à mon existence, même si je ne l’appelle pas Dieu ? Le véritable clivage, et cela me paraît assez nouveau, n’est plus aujourd’hui entre croyants et non-croyants mais plutôt entre ceux qui s’interrogent en profondeur et ceux qui refusent tout questionnement.

S.H. Dans votre ouvrage Evangile d’un libre penseur, vous soulignez avec force l’importance de ce dialogue des convictions, notamment entre christianisme et laïcité.

G.R. Le fait d’avoir travaillé vingt ans pour le journal socialiste et syndicaliste La Wallonie à Liège m’a amené à être confronté très jeune et de manière très concrète au dialogue avec le monde laïque. Dans ce livre, j’ai essayé de faire le point sur ce que peut être le partage entre des gens de convictions différentes. Comment traverser la parole de l’autre et accepter d’être touché par celui qui ne pense pas comme moi ? C’est vraiment une question d’actualité.

S.H. Suite à la vague d’attentats qu’a connue l’Europe ces deux dernières années, vous appelez également au renforcement du dialogue interreligieux.

G.R. Un soir de vendredi Saint, j’ai reçu Karima Berger, l’auteure d’Eclats d’Islam, qui est venue partager la douleur des musulmans face à leur religion trahie par des groupes extrémistes. Il nous faut encourager ces penseurs de toutes nos forces car s’il existe une évolution positive possible, elle viendra de ceux qui, à l’intérieur même du monde musulman, ont le courage de dire « Ca suffit ! »

S.H. Vous qui avez été professeur de journalisme et Vice-recteur à l’UCL, quel regard portez-vous sur la situation actuelle de la presse écrite ?

G.R. Je suis en admiration profonde pour ceux qui osent encore faire du journalisme, du grand reportage, du vrai travail d’enquête. Heureusement pour la démocratie, il y a encore des gens capables pour ce métier ! Mais je suis aussi très critique envers un nombre croissant de journalistes qui font du populisme en allant chercher dans le grand public ses instincts les plus bas. C’est désespérant et proche du crime pour moi. Les formations de journalisme multiplient pourtant les cours de déontologie. Les étudiants qui nous quittent sont bardés de réflexions éthiques mais se heurtent à un système de presse soumis à une rentabilité immédiate.

S.H. Précisément, toujours concernant l’UCL, celle-ci vient de créer une Chaire d’enseignement et de recherche en soins palliatifs. L’importance de cette réflexion autour de la fin de vie est justement centrale dans votre parcours et dans votre dernier ouvrage Vous me coucherez nu sur la terre nue.

G.R. A l’UCL, en plus du journalisme, j’ai donné des cours d’anthropologie et d’ethnologie de la mort et ma principale activité de recherche universitaire a porté sur cette question. J’ai aussi été profondément marqué par mon expérience d’aumônier dans un hôpital de Huy qui m’a confronté de manière très concrète à la fin de vie. Depuis mon éméritat, je me suis d’ailleurs réinvesti fortement dans l’accompagnement en soins palliatifs. La mort est donc présente comme un fil conducteur dans mon travail mais pas du tout de façon morbide, parfois même au contraire de manière joyeuse et belle. Je me bats énormément pour que cette ultime étape soit davantage présente et réintroduite dans la vie de manière naturelle. Une des conférences que je donne le plus s’intitule d’ailleurs « La mort parlons-en tant qu’il fait beau ». Surtout avec les plus jeunes. La mort nous frappe plus violement encore quand elle a été tenue éloignée, évacuée comme un tabou. C’est pour mieux vivre qu’il faut en parler. Je me réjouis donc beaucoup de la création de cette Chaire en soins palliatifs.

S.H. Vos ouvrages reflètent également toute l’importance que vous accordez à l’expression poétique.

G.R. La poésie me semble en effet une voie plus que jamais nécessaire dans notre temps et qui n’est pas cantonnée à l’écriture ou la littérature. Il s’agit en effet d’une forme de regard qui déplace les choses, non pas une recherche d’idéalisation mais plutôt une façon d’habiter le quotidien autrement. Dans le fond, tout le monde y aspire mais, je ne sais pas pourquoi, on a rendu tout cela compliqué alors qu’il fallait au contraire le rendre simple : retrouver ce que nous avions spontanément au moment de l’enfance.

S.H. L’environnement naturel dans lequel nous nous trouvons semble particulièrement propice à la poésie. Quel regard portez-vous sur le lien entre spiritualité et écologie ?

G.R. Paradoxalement, ce grand combat écologique est aussi un combat spirituel pour sauvegarder notre respiration intérieure autant que notre respiration physique. Cela me parait déterminant et j’ai été très touché que l’un des plus grands textes du Pape François, Laudato si, porte sur cette question de l’écologie de manière très concrète : qu’est-ce que le combat écologique signifie finalement pour l’accueil et le respect de l’autre ? Mais j’irai plus loin encore car, selon moi, la nature peut avoir des choses à nous dire dans notre vie spirituelle. Et je crois qu’à un certain moment, quand les hommes ne nous consolent plus, les arbres et la nature le peuvent mystérieusement encore. C’est pourquoi, il faut oser poser cette question de l’écologie jusqu’au cœur du béton de nos villes. La nature est une affaire éthique avant d’être une question esthétique, c’est un « rapport à », une qualité de vie.

S.H. Et les bibliothèques, ont-elles joué un rôle dans votre parcours ?

G.R. Au cours de mes études, j’ai eu la grande chance d’avoir toujours des bibliothèques proches de moi, ce qui m’a véritablement donné le goût de m’entourer de livres. J’aime aussi particulièrement présenter mes livres lorsque, comme cela se fait en librairie et en bibliothèque, l’échange avec le public peut être entouré d’intermèdes musicaux ou artistiques. Il me semble que ce dialogue heureux confère au livre une dimension plus large et lui permet d’être reçu un peu différemment, comme une expérience à chaque fois unique.

_______________________

Les coups de cœur artistiques de Gabriel Ringlet

-* Un film

Les premiers, les derniers, de Bouli Lanners, 2015

« Ce film, très fort sur plusieurs plans, s’interroge sur la fin du monde. Très crépusculaire, il laisse de plus en plus de place à la lumière et présente une forme de passage de la mort à la résurrection de ses personnages. »

-* Un livre

Erri De Luca, Au nom de la mère, Gallimard, 2006

« Le récit de la naissance de Jésus articulé autour de la figure de Marie et vue par un agnostique. J’ai vu ce texte porté au théâtre par le comédien Philippe Vauchel. Une adaptation inouïe ! L’acteur joue la naissance du Christ au moment où il sort du ventre de sa mère et personne ne songe à rire tellement c’est juste. »

-* Une peinture

Bibliothèque de Jacques Aubelle

« Ce grand pastelliste français crée des paysages très colorés et des scènes très vivantes. Il a notamment réalisé une série d’originaux pour illustrer mon livre Prières glanées qui m’ont beaucoup touché. »

-* Une musique

Lynda Lemay, Donnez-lui la passion, dans Les lettres rouges, 2002

« Le texte poétique et poignant d’une mère qui sent venir la mort et demande la force de la passion pour l’enfant qui va lui survivre. »