Droits d’auteurs sur le prêt : « Et chez nos voisins, cela se passe comment ? »

Publié le 8 août 2012, par Françoise Vanesse, Sylvie Hendrickx


Alors que la question névralgique du droit d’auteur sur le prêt inquiète fortement le secteur des bibliothèques publiques, il est intéressant de prendre connaissance de la façon dont quelques-uns de nos voisins ont abordé la problématique, réglé la question ou fait face, eux aussi…, à des difficultés… Nous découvrirons qu’une même législation européenne peut être transcrite dans la législation des Etats de manière fort différente. Dans les lignes qui suivent, quelques exemples significatifs avec, en parallèle, l’avis de notre association.

I comme Indépendance

L’exemple des Pays-Bas nous intéresse en raison du statut de relative indépendance de l’organisme créé pour y gérer les droits d’auteurs, Stichting Leenrecht. Sa direction relève en effet d’un Président indépendant, nommé par le Ministère de la Justice en consultation avec le Ministère de l’Education, de la Culture et des Sciences. La directrice-comptable de cette institution insiste sur l’importance du processus de négociation qui régit le fonctionnement de l’organisme et que le statut d’indépendance du Président facilite bien évidemment ! Ainsi, si les titulaires des droits et les bibliothèques ne peuvent parvenir à un accord commun, c’est le Président qui prend en charge la décision qui engage l’ensemble des parties.

Le Royaume-Uni nous offre également un exemple intéressant. La gestion du droit de prêt y est assumée par une agence gouvernementale. Il s’agit donc une fois encore d’un organisme non privé et non directement lié aux associations d’auteurs ou d’éditeurs.

E comme Equité

Le terme « équité » mérite également d’être souligné en ce qui concerne la composition de l’organisme chargé de la collecte des droits aux Pays-Bas. En effet, au sein de Stichting Leenrecht, sont représentés de manière équitable les représentants des titulaires des droits (auteurs et éditeurs) mais aussi ceux des groupes d’utilisateurs, c’est-à-dire les bibliothèques.

E comme Exemption

Au cours de la mise en application de la législation européenne, la possibilité de jouer la carte de l’exemption a préoccupé certains Etats conscients que l’obligation de paiement du droit d’auteur sur le prêt pouvait hypothéquer les missions des organismes visés et, de façon plus large, mettre en péril le niveau culturel du pays. Mais le terme d’exemption est flou et les critères mis en avant par les gouvernements pour y avoir recours ont souvent été considérés par la Cour européenne comme manquant d’objectivité. De nombreux recours ont donc eu lieu, comme l’illustrent les trois exemples suivants.

En effet, lors de la transposition dans la législation portugaise de la directive européenne de 1992, le gouvernement portugais a d’emblée utilisé la possibilité qui s’y trouvait prévue d’exempter certaines catégories d’établissements de l’obligation de verser une rémunération pour le prêt public. Etant donné que la directive communautaire n’est pas restrictive quant au type d’établissements pouvant bénéficier d’une telle exemption, les bibliothèques publiques, les bibliothèques universitaires, scolaires, les musées et les archives publiques ont été exemptés. Mais aussi… les fondations publiques et les institutions privées à but non lucratif. Le gouvernement a défendu l’étendue du groupe d’établissements bénéficiant de l’exemption en argumentant qu’il était nécessaire d’encourager le développement culturel du pays et primordial d’encourager la lecture. Dans cette démarche, le gouvernement a reçu le soutien de diverses institutions mais la réaction de la Société portugaise des auteurs (SPA) n’a cependant pas tardé, considérant que le gouvernement utilisait de façon abusive l’exemption prévue par l’article 5 de la Directive. Ce point de vue a également été celui de la Commission européenne et une action à l’encontre de l’Etat portugais a été menée arguant qu’une exemption qui exempte tout le monde n’est plus une exemption mais bien une violation du droit de prêt public. Le Portugal suite à cette condamnation a réduit de manière importante le nombre d’institutions bénéficiant de l’exemption de paiement mais le projet d’exempter les bibliothèques publiques, les bibliothèques scolaires et universitaires a lui perduré…

F comme Finance : qui paie et qui finance ?

Sur cette question, l’exemple français est très intéressant. Ce système a en effet été conçu dans une volonté de ne pas faire peser le droit de prêt sur l’usager des bibliothèques. Il présente une double voie de perception du droit de prêt. Une partie du financement, à la charge de l’Etat, est fonction du nombre d’inscrits en bibliothèque. Le second financement provient d’une redevance de 6% du prix public hors taxes prélevée sur les achats de livres par les bibliothèques de prêt public auprès des fournisseurs. Il ne faut pas perdre de vue qu’un système de prix unique du livre existe et que les bibliothèques ont accepté une réduction des marges accordées par les libraires et qui ne peuvent dépasser 9%.

En Allemagne, le droit d’auteur sur le prêt public est financé à concurrence de 10% par le gouvernement fédéral et de 90% par le gouvernement des Etats. Un paiement de droit de prêt public annuel est négocié entre la Kommission Bibliotheksantieme au nom de l’Etat, des gouvernements fédéraux et des sociétés de perception (VG WORT). La révision de cette somme forfaitaire est renégociée sur base du nombre total de prêts et du coût de la vie.

Le système autrichien repose lui aussi sur une somme forfaitaire versée par l’Etat.

En Angleterre, le financement est assuré par le Gouvernement central via le Ministère de la Culture, des Médias et du Sport. C’est également le cas en Italie où un fonds a été créé au sein du Ministère de la Culture pour couvrir le payement du droit d’auteur sur le prêt.

En Irlande, il est prévu que le payement du droit de prêt public soit assuré par les collectivités locales, et non par les bibliothèques ou leurs usagers.

Au Luxembourg, la rémunération est due par l’Etat ou les communes pour les bibliothèques publiques, et par la bibliothèque elle-même pour les bibliothèques privées. Elle n’est pas soumise à négociation mais est fixée forfaitairement chaque année.

S comme Soutenir le marché du livre

Parallèlement à la rubrique précédente, il est intéressant de constater que les pays où l’Etat prend part d’une manière ou d’une autre au paiement du droit de prêt adoptent souvent des mesures complémentaires visant à soutenir la création nationale et le marché du livre dans son ensemble.
C’est le cas notamment de la France qui a instauré un régime de retraite complémentaire pour les auteurs et traducteurs. Le rabais sur achat des livres pour les bibliothèques y a également été limité à un maximum de 9% de manière à permettre aux petites et moyennes librairies d’accéder à ce marché.

L’Allemagne et l’Autriche inscrivent également la perception du droit d’auteur dans une politique culturelle plus vaste, une partie de la somme forfaitaire versée par l’Etat servant à garantir une pension et une assurance santé aux auteurs connus mais aussi de moins grande notoriété comme les traducteurs.

T comme transparence

Un des problèmes majeurs liés à la perception du droit de prêt public réside dans la transparence du système de rémunération des auteurs. Plusieurs de nos pays voisins recourent, pour augmenter celle-ci, à l’échantillonnage et aux données statistiques.

Ainsi, en Allemagne, la distribution se fait sur base de statistiques de prêts fournies par des enquêtes témoins réalisées dans des bibliothèques allemandes. Comme le souligne le responsable du département « Droit de prêt public » de la VG WORT, les auteurs qui se vendent le mieux ne sont pas nécessairement les auteurs qui sont « empruntés le plus souvent », ce ne sont donc pas ceux qui bénéficient le plus de la distribution du droit de prêt public.

Au Royaume-Uni, la fréquence à laquelle un livre est prêté par les bibliothèques publiques est également estimée sur base des statistiques d’un échantillon de plus en plus représentatif puisqu’il se compose d’un nombre sans cesse croissant de bibliothèques, plus d’un millier aujourd’hui. Les données de prêt sont réunies chaque mois par chacune des bibliothèques puis envoyées par e-mail au droit de prêt public qui les stocke pour établir les statistiques sur l’année. Le système anglais présente l’intéressante particularité de rémunérer les bibliothèques pour couvrir les coûts occasionnés par leur participation à l’échantillon.

B comme Bénéficiaires

Suivant le pays, le système de perception du droit d’auteur touche une sphère différente de bénéficiaires : les seuls écrivains et auteurs ou également les éditeurs et d’autres contributeurs comme les traducteurs. Ainsi en Angleterre, les compilateurs, illustrateurs, photographes, rédacteurs… sont rémunérés par le droit de prêt public mais pas les éditeurs.

En France, en revanche, les éditeurs et les auteurs sont rémunérés à parts égales lors de l’achat d’un livre par une bibliothèque (avec un minimum de 15 livres achetés par des bibliothèques pour entrer dans la liste des bénéficiaires).
En Allemagne et en Autriche la répartition se fait avec un pourcentage de 30% pour les éditeurs et 70% pour les auteurs.

C comme Critère d’éligibilité

Un autre facteur de grande disparité entre les systèmes de droit de prêt public mis en place par nos pays voisins réside dans le critère d’éligibilité des auteurs pouvant prétendre à une rémunération pour le prêt de leur livre dans les bibliothèques publiques. Le plus souvent celui-ci repose sur des critères nationaux ou territoriaux et visent à promouvoir la littérature nationale.

C’est le cas au Luxembourg et dans les pays nordiques où les auteurs doivent être de la nationalité du pays ou vivre sur son territoire.
Le système anglais, au contraire, étend le droit de prêt à tous les citoyens de l’espace européen. Ce droit est également élargi au-delà des frontières nationales par les systèmes allemand, néerlandais et autrichien en fonction d’accords établis entre pays.

Orientation bibliographique :

Le droit de prêt dans le monde, Droit d’auteur et politiques culturelles, Dalloz, 2008.

Données et chiffres réajustés après consultation des sites web des différents partenaires.