Une centaine de bibliothécaires se sont mobilisés ce lundi 4 septembre dernier et ont répondu à l’invitation lancée par la FIBBC à l’Arsenal de Namur afin de venir s’informer, débattre et surtout livrer leur avis sur le brûlant, préoccupant et inquiétant projet d’arrêté royal relatif à la rémunération pour prêt public.
Après avoir rappelé en guise d’introduction que les bibliothécaires ne sont nullement opposés à la perception d’un droit d’auteur sur le prêt redirigé vers les auteurs mais avec des limites autorisant une viabilité financière des institutions de prêt, Jean-Michel Defawe entreprend la première partie de son exposé : bref historique de cette législation du droit d’auteur sur le prêt et grandes étapes que connut ce dossier. Ensuite, il présente les grandes lignes de cet arrêté royal et passe en revue les points qui lui semblent plus particulièrement névralgiques et interpellants pour les bibliothèques. Après cet exposé de septante cinq minutes, les participants sont invités à se répartir en trois groupes de travail afin de faire part de leurs remarques au sujet de ce texte.
Dans les lignes qui suivent, le bilan des points prépondérants abordés par les participants des ateliers et l’avis de la FIBBC.
1 - Quels sont les points qui, dans ce texte, vous semblent susceptibles de poser problème ?
• Les conséquences indirectes de cet arrêté sur le terrain de la Lecture publique
Vos avis :
Péril en la commune ! En effet, beaucoup s’inquiètent. La situation financière de la majorité des communes est préoccupante. Pire, certaines sont sous tutelle. Ces dépenses supplémentaires risquent d’avoir des retombées sur le terrain car le paiement des sommes dues aura inéluctablement pour conséquence d’autres mesures pour compenser. Par exemple, la suppression d’un poste de bibliothécaire avec les conséquences que l’on imagine sur le terrain. Cette exigence des sociétés de droits d’auteurs aura donc des conséquences à long terme pour la Lecture publique.
La répercussion possible du paiement sur le lecteur : cette taxe va alourdir le coût culturel et représentera un frein à la fréquentation, surtout si elle est répercutée sur les usagers.
Il existe un fossé trop important entre les préoccupations des sociétés de droits d’auteurs et les préoccupations c’est-à-dire les missions des bibliothèques qui, comme le rappellent certains, appartiennent bien au secteur du non-marchand.
L’avis de la FIBBC :
La FIBBC tient à attirer l’attention des auteurs de l’avant-projet d’arrêté "droits d’auteurs" sur l’économie globale du système des organismes de prêt public qui est une économie fermée.
Les bibliothèques publiques dépendent pour l’essentiel des pouvoirs locaux et lorsqu’elles sont de droit privé, la plus grande partie de leurs ressources vient des pouvoirs publics.
Les ressources propres des bibliothèques publiques (droits d’inscription, cotisations, abonnement, amendes ou frais de rappel etc…) ne couvrent qu’une partie marginale de tous leurs frais réels.
Trois conséquences pourraient en découler :
La première pourrait être la suivante : toute augmentation des charges sera inévitablement compensée en interne par la diminution d’autres postes de dépenses des bibliothèques (achat de documents ou dépenses de fonctionnement pour animations, accueil d’auteurs…) .
La seconde : un risque sérieux de diminution des collections par un élagage rapide de celles-ci. Vouloir rejoindre une catégorie plus basse d’imposition pourrait être un objectif de certains pouvoirs organisateurs au détriment du service aux lecteurs.
La troisième conséquence est liée à la sociologie des usagers : toutes les expériences passées d’alourdissement du coût de la fréquentation des BP en FWB ont abouti à la même et unique conséquence : la diminution du nombre d’inscrits et de prêts.
• La rétroactivité
Vos avis :
La grande majorité des participants est préoccupée par l’effet rétroactif des mesures envisagées ainsi que par les délais relativement courts pour s’acquitter de cette rétroactivité ;
Les bibliothécaires ne sont pas responsables de la mauvaise application par l’Etat dans sa législation de la réglementation liée à la directive européenne entre 2004 et 2012. Ils ont, durant ces années, appliqués les lois en vigueur. Etant donné que les bibliothèques ont respecté la législation, il y a donc bien une responsabilité du fédéral qui doit assumer lui aussi ses responsabilités.
L’avis de la FIBBC
Le point qui nous heurte le plus est l’effet rétroactif de ce projet (2004-2011) pour deux raisons :
Les années 2004, 2005 et 2006 sont couvertes par une convention entre REPROBEL et la Communauté française fixant, de manière très précise, le coût pour ces trois années du DAP. On ne peut revenir sur une convention pour en modifier les aspects financiers au bénéfice d’une seule partie neuf années après.
La Cour Constitutionnelle est très claire sur le principe de la non-rétroactivité des lois. Pour elle, un principe fondamental de notre droit est qu’une loi ne vaut que pour l’avenir et ne peut rétroagir. Cette règle figure en tête du Code civil en son article 2. Elle est une garantie ayant pour but de prévenir l’insécurité juridique. Cette garantie exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible de sorte que chacun puisse prévoir, à un degré raisonnable, les conséquences d’un acte déterminé au moment où cet acte se réalise. Dans de très nombreux jugements rendus, la Cour Constitutionnelle a été amenée à censurer les lois à portées rétroactives. Selon sa jurisprudence la rétroactivité des dispositions législatives qui est de nature à créer de l’insécurité juridique ne peut se justifier que par des circonstances particulières et notamment lorsqu’elle est indispensable au bon fonctionnement ou à la continuité du service public. Et le service public dans le cas qui nous préoccupe, ce sont les bibliothèques. S’il s’avère toutefois que la rétroactivité de la norme législative a pour effet d’influencer dans un sens déterminé l’issu d’une ou de plusieurs procédures judiciaires ou d’empêcher les juridictions de se prononcer, la nature du principe en cause exige que des circonstances exceptionnelles justifient cette intervention du législateur qui porte atteinte, au détriment d’une catégorie de citoyens, aux garanties juridictionnelles offertes à tous.
Les bibliothèques ont appliqué la loi en cours et ne doivent pas être mises en difficulté avec cet effet rétroactif. Si la partie législative a commis une faute, une erreur, c’est à elle de devoir l’assumer et d’en supporter les conséquences.
Les montants rétroactifs cumulés pourraient être importants, tournant autour de 10.000 euros voire 15.000 euros pour les 8 dernières années, mettant ainsi en danger la survie même de certaines entités.
• Redevance sur les collections
Vos avis :
Les nouvelles exigences au niveau des redevances à prélever pour les auteurs et éditeurs risquent d’avoir des conséquences sur le comportement de certaines bibliothèques qui auront inévitablement tendance à élaguer afin de diminuer leurs collections. Dans ce contexte, on en vient à réfléchir et à se questionner sur ce que devient la mission de patrimoine et de conservation pris en charge par les bibliothèques.
La disproportion des montants à payer selon les catégories de nombres d’ouvrages engendrera inévitablement un risque d’appauvrissement de l’offre (c’est encore une fois le lecteur qui est pénalisé).
L’avis de la FIBBC :
Le texte basant la définition de la collection sur quasi tout le patrimoine de la bibliothèque n’intègre pas suffisamment le rôle important de conservation du patrimoine littéraire et scientifique de même que le rôle de mémoire de la bibliothèque. Il nous aurait semblé plus cohérent de centrer davantage, dans le texte, le préjudice subi par les auteurs autour des dernières années d’acquisition d’ouvrages (en modifiant même à la hausse les montants demandés sur un plus petit nombre d’ouvrages) mêmes si diverses des études ont prouvé que le lecteur en bibliothèques est également un excellent acheteur en librairie.
Si nous considérons les montants annuels dus par rapport à ce principe de collection, nous estimons que les catégories ne sont pas bien réparties parce que leur organisation pénalise plus durement la troisième catégorie bibliothèque de 25 à 50.000 habitants qui a déjà beaucoup de difficultés budgétaires à offrir un service de qualité. L’écart entre la 2ème et la 3ème catégorie et entre la 3ème et la 4ème n’est pas équilibré. Notre proposition serait de créer de nouveaux paliers avec une nouvelle répartition.
• Redevances et taxes en cascade…
Vos avis :
Les bibliothécaires s’insurgent par rapport au nombre de taxes qui pénalisent leur travail : TVA sur le livre à l’achat, TVA sur le paiement des droits d’auteurs et autres…
Cette taxation est non-appropriée : ce texte prévoit en effet une taxation sur des livres qui ne sortent pas spécialement : on taxe alors que le prêt n’a pas eu lieu. Il faudrait taxer uniquement sur les acquisitions plus récentes.
La TVA de 6% liée au statut de la Sprl privée « Reprobel » interpelle : si ce n’était pas une firme privée qui était chargée de collecter ces fonds, le problème de la TVA ne se poserait pas. On évoque alors la situation d’autres pays comme la Hollande où c’est un organisme dépendant de l’Etat qui prend en charge ces paiements de droits d’auteurs.
Plusieurs bibliothèques s’interrogent car, à certains moments, elles réalisent de grandes campagnes de prêts gratuits. Or, elles seront taxées sur ce prêt gratuit : quel paradoxe !
L’avis de la FIBBC :
La TVA (impôt indirect sur la dépense) nous pose en effet problème. Il serait d’abord intéressant de bien préciser dans le texte qu’il s’agit de montants "Hors TVA". Par ailleurs, dans les pays voisins gérant la collecte du droit de prêt, comme par exemple aux Pays-Bas et en Angleterre, la perception de ces droits d’auteur est gérée par des structures de droit public (dans la gestion desquelles sont associées les bibliothèques) et, parce que publiques, ces structures sont exemptées de TVA. Il ne nous semble pas correct, d’ailleurs, qu’une Taxe à la Valeur Ajoutée soit prélevée, dans cette problématique, par l’État fédéral même si le statut de REPROBEL l’exige. Une facturation par un organisme central public qui récolterait ces fonds et les ristournerait à Reprobel permettrait de résoudre cette difficulté.
Il y a, par ailleurs une double « taxation » puisque l’Etat fédéral prélève également, dans les bibliothèques publiques de droit privé, une taxe sur le patrimoine qui est constitué la plupart du temps uniquement de livres. Une neutralisation de cet aspect des choses permettrait à ces bibliothèques de réserver les sommes qu’elles versent au SPF Finances à la prise en charge d’une évolution des montants « DAP ».
• Les établissements scolaires et leur exemption
Votre avis :
Les prêts réalisés dans les écoles ne sont pas soumis à une redevance DAP : Le travail des bibliothécaires est-il si différent de celui effectué par les écoles ?
L’avis de la FIBBC :
Dans nos pays, malheureusement, la plupart des bibliothèques scolaires ne correspondent que peu aux normes de qualité qu’une telle institution devrait avoir. Les raison budgétaires en sont la cause. Constituées trop souvent de vieux livres récupérés, elles jouent parfois même un rôle de repoussoir vis-à-vis de l’écrit et peuvent aller jusqu’à éloigner l’enfant de la "lecture-plaisir" à l’inverse des actions menées en bibliothèques publiques.
La nouvelle législation proposée sur le droit d’auteurs met sur un même pied l’adulte et le jeune fréquentant une bibliothèque. Ils sont redevables des mêmes redevances sauf si la bibliothèque les prend en charge. Ce n’est pas normal.
Nous suggérons une norme transversales (tant pour les écoles que les bibliothèques publiques) excluant de la perception de cette redevance DAP les jeunes de moins de 18 ans.
• Le vocabulaire
Vos avis :
Il existe un problème de vocabulaire utilisé dans ce texte qui manque de transparence. Par exemple, la notion de « matériaux » : qu’est ce que ce terme reprend précisément ? Comment calcule-t-on finalement les collections ? Quid des ludothèques, des audio-livres, des périodiques ?
Le terme « préjudice » revient de façon récurrente : très interpellant et choquant. Les auteurs parlent de « grave préjudice moral » alors que l’apport des bibliothèques à travers leurs différentes missions est prépondérant. Il est décourageant d’entendre parler du travail de bibliothécaires en termes de préjudice aux auteurs.
L’avis de la FIBBC :
Afin d’éviter de nouveaux malentendus, certaines définitions devraient en effet être adaptées. Il en va ainsi, par exemple, de la notion de « matériaux », et celle, très importante, d’ « institutions de prêt ».
En effet, la notion « d’institutions de prêt » est différente au sens de la législation de la Communauté française et dans la compréhension tant des sociétés de droits d’auteur que du texte proposé qui fait référence à la notion de pouvoir organisateur. La Communauté française ne reconnaît qu’une bibliothèque au niveau local et celle-ci peut être constituée de différents pouvoirs organisateurs. Il y a là une contradiction qui engendre évidemment des différences dans les sommes escomptées. Pour être plus clair si, par exemple, une bibliothèque locale est composée de trois pouvoirs organisateurs qui rentraient autrefois trois déclarations au niveau de REPROBEL, la Communauté française, elle, ne voit qu’une seule bibliothèque là où le projet d’arrêté semble en distinguer trois avec des effets financiers différents.
• Evolution des montants à percevoir
Votre avis :
Il est important que le coût de la taxation reste davantage parallèle à l’augmentation du coût de la vie, de l’index. Ces montants exponentiels sont remis en cause.
L’avis de la FIBBC :
En ce qui concerne l’évolution des montants à percevoir de 2013 à 2017, tant par rapport aux collections en cours qu’aux usagers, nous estimons que l’évolution ne correspond pas à une saine répartition de la charge en période de crise. Il ne faut pas oublier les conséquences pratiques différentes sur le terrain entre la Communauté flamande et la Communauté française puisque cette dernière a déjà le exprimé par la presse qu’elle n’interviendrait pas dans cette opération et laisserait chaque pouvoir organisateur face à ses responsabilités vis-à-vis de REPROBEL. En Flandre la situation est complètement inversée.
Nous avons été informés qu’entre 2012 et 2017, la Communauté française prévoyait un gel de ses subventions par une non-indexation de celles-ci.
Si nous examinons les projections du Bureau du Plan sur la même période, nous lisons une évolution des salaires horaires 2012-2017 de +17,10 %.
Au même moment l’on propose à la société REPROBEL une augmentation de 74,70 % sur les collections et de 70,83 % sur les prêts, le tout hors TVA. Il nous semble là qu’il y a une disproportion assez énorme. Dans ce dossier DAP, le tour de ceinture imposé par la crise ne doit pas concerner les seules bibliothèques. Nous demandons donc que les perspectives d’évolution et de revalorisation des tarifs soient revues à la baisse.
2-Quels sont les éléments qui, par contre, vous apparaissent comme plus rassurants ?
La sortie de l’incertitude par l’arrivée de textes légaux.
Le fait que le prolongement du prêt ne soit pas considéré comme un nouveau prêt, de même que le prêt inter-bibliothèque ;
L’organisation d’une planification pour cinq ans balisant davantage le futur mais sans que le terrain soir sûr de pouvoir y répondre favorablement.
La possibilité de réduire de 5% le coût de la facture finale si une structure effectue un travail de centralisation (Etat fédéral, Communauté, Région, Province, Bibliothèque d’appui...).
La mobilisation des bibliothécaires qui sortent de leurs murs pour se parler : serait-ce la naissance d’une nouvelle fédération ? « Le débat sur les droits d’auteurs pourrait contribuer à replacer des débats nécessaires au centre des préoccupations. »
3-Quelles seraient les modifications que vous souhaiteriez voir apporter à ce texte ?
Pourquoi ne pas exempter les prêts de documents à destination des écoles ?
Il faudrait pouvoir être taxé par rapport aux nouveautés plutôt qu’au fonds.
Nécessité d’affiner les tranches de calcul et réduire l’écart pour les critères de collections ( intervalles de 10.000 par exemple, nécessité d’un palier supplémentaire entre 25.000 et 50.000 notamment.)
Plus de transparence et de précisions sur les chiffres. Exemple : quelle somme va exactement aux auteurs et à quels auteurs ?
Les Sociétés de Droits d’Auteurs manquent d’informations sur l’ensemble des frais pris en charge par les bibliothèques pour assumer le prêt de livres : il faudrait leur faire un tableau avec le coût réel que cela comporte…et les sensibiliser davantage…
Envisager une action de la part des Provinces pour bénéficier des 5% de réduction liés à la centralisation. L’assemblée estime cependant que c’est peu cependant pour le travail que cette centralisation représente.
Peut-on envisager une intervention future de la Communauté Française ?
Nécessité de mettre l’Etat fédéral devant ses responsabilités au niveau de la rétroactivité dont il est seul « responsable » et rappeler le principe de non rétroactivité de la loi.
Il est important que le coût de la redevance reste davantage parallèle à l’augmentation du coût de la vie, de l’index et ne pas se lier à une évolution exponentielle ;
La notion de préjudice concerne aussi les bibliothèques : mention doit être faite du travail de diffusion et de valorisation des auteurs et de leurs œuvres ainsi que de l’élargissement de l’accès à la lecture ;
Prévoir un échelonnement des paiements ;
Dans certaines régions, il faudrait harmoniser ses pratiques suite aux coûts afin d’éviter la concurrence possible entre certaines bibliothèques.
Après 45 minutes d’ateliers, un bilan des principaux points abordés fut effectué par Jean-Michel Defawe qui donna ensuite la parole à l’auditoire. A cette occasion, les remarques suivantes furent effectuées.
4- Interventions de l’Assemblée en fin de matinée
Nécessité de recourir à des juristes de haut vol capables de défendre les bibliothécaires car cette problématique est extrêmement pointue.
En cas de non-intégration de notre point de vue, nécessité d’une action au Conseil d’Etat mais qui pourrait l’intenter ?
Prêter un livre a un coût important qu ene semble pas imaginer les sociétés de droit d’auteurs.
Place des réseaux ? Il a fallu se constituer en réseau, pourquoi aujourd’hui renvoyer les frais vers les PO ?
Opacité de la répartition des sommes par Reprobel (Quid des auteurs non inscrits chez eux ?) « Où va l’argent ? », quelle répartition ? ¼ seulement vers les auteurs, quels auteurs ?
Quelles conséquences pour les centrales, les principales ? Devront-elles payer pour leurs collections ? Et les bibliothèques non reconnues ou reconnues depuis peu de temps (rétroactivité) ?
Le texte étant arrivé trop tardivement, le délai de réaction est trop court et n’a pas permis d’examiner l’ensemble des conséquences potentielles.