A la Bibliothèque Universitaire de Liège, les manuscrits crèvent l’écran !

Publié le 8 avril 2014, par Françoise Vanesse


Depuis deux ans, le réseau des Bibliothèques de l’Université de Liège s’est lancé dans un projet de numérisation d’une partie de son patrimoine : une cinquantaine de manuscrits médiévaux et renaissants. Cette campagne, qui a reçu le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le cadre de son Plan PEP’S, nous rappelle l’importance des enjeux de la numérisation face au problème de conservation du patrimoine ancien mais surtout met en lumière la méthodologie scientifique avec laquelle les responsables ont abordé cette problématique en lui conférant des exigences bien spécifiques. A savoir, une numérisation ciblée et non massive, effectuée avec un très haut degré d’exigence technologique, dans une perspective scientifique mais également de mutualisation et de démocratisation des savoirs avec, à la clé, la garantie de la pérennité. Sans oublier l’enthousiasme de toute une équipe…

Et en effet, d’enthousiasme, de dynamisme et de tonus, il en est bien question ce 4 février, à la Salle Académique de l’ULg, lors de la soirée consacrée à la présentation du projet PEP’S à l’ULg : une campagne de numérisation dans laquelle l’équipe de Paul Thirion, directeur général du réseau des Bibliothèques de l’Université, s’investit depuis deux ans ! Mais, quoi que l’on arrive au terme de ce chantier, la responsable scientifique, Stéphanie Simon, dans une perspective très dynamique, préfère s’adresser à l’auditoire en des termes d’ouverture. « La fin de ce projet n’est pourtant qu’un commencement. Pour vous, il s’agira du commencement de l’exploitation dans vos recherches, vos cours ou vos travaux, des résultats obtenus. »
Et les résultats, cette équipe les a voulus, les a recherchés et a planché afin qu’ils soient au rendez-vous ! En effet, actuellement un grand nombre de projets visant à mettre en ligne et à rendre plus accessible les collections voient le jour. Néanmoins, quelques expériences antérieures, comme Europeana par exemple - projet de numérisation massive qui induit une recherche extrêmement fastidieuse-, ont essuyé les plâtres et ont permis de mettre en lumière les écueils à éviter dans ce type de démarche. Il s’agissait donc pour l’équipe liégeoise de se donner des priorités claires et des exigences bien spécifiques afin de baliser leur travail et de concourir à un résultat pérenne.

Numérisation massive ?

Parmi ces différentes priorités, citons tout d’abord une numérisation ciblée. En effet, comme nous l’évoquions plus haut, il s’agissait ici de s’éloigner de la conception d’une numérisation massive. Le Plan PEP’S de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Plan de Préservation et d’Exploitation des Patrimoines, lancé en 2007, répondait aux objectifs de l’ULg. « En effet, explique la responsable scientifique, l’objectif de ce plan est double : préserver nos patrimoines culturels en garantissant l’accès à moyen et court terme à leur version numérisée, et les valoriser en proposant au public intéressé un accès unique à l’ensemble des collections. Ces priorités nous ont immédiatement séduits ! Bien loin d’une numérisation massive, réalisée en tous sens mais surtout à tout prix, il s’agit plutôt de numériser nos collections, en garantissant au maximum la préservation des documents originaux, comme la pérennité de leur version numérisée. Numériser donc peut-être moins, dans le cas présent, une cinquantaine de manuscrits médiévaux et renaissants, mais s’assurer de fournir à nos usagers un résultat de meilleure qualité. » (1)

Quid de l’exigence technologique ?

Et qui dit qualité, pense au haut degré d’exigence technologique nécessaire pour aboutir. L’écueil à éviter est en effet de numériser et de devoir recommencer quelques années plus tard car les techniques auraient évolué ; ce qui ferait de cette opération un mouvement éphémère et sans lendemain. Mais Stéphanie Simon tempère. « En effet, la maîtrise des technologies de ces deux dernières décennies a atteint un stade sans précédent. La variété des matériels, logiciels ou applications disponibles ne traduisent plus uniquement une prise de conscience des potentialités de la sphère numérique, mais aussi leur assimilation. Quant au développement de scanners ou d’appareils photographiques numériques perfectionnés, il a atteint son plein essor. »
C’est donc dans ce contexte sécurisé que s’ancre le lancement de l’opération Plan PEP’S à l’ULg avec des priorités clairement définies : que ce soit la vigilance pour la sécurité de l’installation et des manuscrits ou l’attention toute particulière à la qualité des images obtenues. « Cette priorité est essentielle, poursuit la responsable scientifique. En effet certains projets mis en ligne proposent des images de qualité moyenne ce qui est inacceptable, dans notre cas, par égard à nos utilisateurs. Car si nos fonds peuvent intéresser le grand public, ils sont aussi et surtout l’objet de recherches scientifiques de la part de chercheurs ou étudiants de notre institution ou d’autres universités ou écoles. Or, ces chercheurs et étudiants ne peuvent pas se satisfaire d’un aperçu acceptable proposé en ligne. »
C’est une petite entreprise bruxelloise, L’Atelier de l’Imagier qui a été choisie pour prendre en charge cette numérisation.

Concrètement ?

Les usagers de la salle Marie Delcourt ont assisté au montage d’un atelier imposant, un véritable studio de photographie numérique dédié entièrement aux manuscrits. Cette installation intra muros permettait de limiter les déplacements et donc les risques pour les livres précieux. Chaque manuscrit a fait l’objet d’une première analyse et, après ce premier diagnostic, passait alors sur la table d’opération avec une haute précision de tous les paramètres par rapport à la version originale : profondeur, couleurs, reflets et formes. Sans oublier la rapidité, parce qu’un manuscrit ne peut pas rester ouvert à une même page indéfiniment sans risquer d’endommager sa reliure, ses encres ou ses couleurs. Au fil des semaines, ce sont ainsi plus de 17.000 clichés qui ont été pris. « Un véritable travail de moines ou presque », conclut la responsable. Ensuite les images ont fait l’objet d’une analyse plus approfondie à l’Atelier de l’Imagier. Chaque image a été ainsi recadrée, vérifiée et comparée aux autres. « Chaque fois, nous avons choisi de rester au plus proche de l’exemplaire original. En fin de parcours, chacune des 17.000 images a été contrôlée par notre équipe et par la délégation PEP’S afin de s’assurer de leur exhaustivité et de leur qualité. »

Diffusion

Une fois ces traitements spécifiques effectués, il ne restait plus qu’à définir le mode de diffusion le plus approprié au contenu des images mais surtout aux besoins des futurs utilisateurs de la bibliothèque apparentée dans ce contexte de recherche à un véritable laboratoire. « Nous nous sommes rapidement dirigés vers une solution double : deux versions permettant à la fois une rapidité d’accès et un haut niveau de précision. Pour la version Web, l’expérience de lecture nous semblait importante. Nous avons fait le choix d’un outil simple et léger dans lequel les manuscrits pourraient être littéralement feuilletés. Les images ont été légèrement compressées mais conservent suffisamment de précision que pour pouvoir être agrandies fortement à l’écran. » D’autre part, il était également important, pour plus de confort et d’accessibilité, que l’ensemble des manuscrits soit accessible sur une page unique et que cette dernière soit lisible depuis n’importe quel support, ordinateur ou tablette. Une page d’exposition virtuelle a donc été conçue, comprenant un sommaire général des 49 manuscrits. Enfin, des bornes tactiles seront disposées également à différents endroits de la bibliothèque ALPHA pour permettre la consultation et l’analyse des images avec une qualité supérieure à la version Web.
C’est avec cette étape cruciale de diffusion des images et de mutualisation des connaissances que se sont terminées ces deux années de recherches passionnantes, de travail minutieux et de quête de pérennité. « Bien sûr, nous restons attentifs à l’évolution de ces outils de diffusion, conclut la responsable scientifique. Mais, en ayant mis la priorité sur la qualité des images numérisées, nous nous prévenons de devoir recommencer l’opération dans quelques années. Les outils de visualisation de ces images, eux, par contre, doivent évoluer, en fonction des solutions nouvelles disponibles. »

Françoise Vanesse

Orientation bibliographique : MAHE, Annaïg, « Les pratiques informationnelles des chercheurs dans l’enseignement supérieur et la recherche : regards sur la décennie 2000-2010 », dans CHARTRON, Ghislaine, EPRON, Benoît et MAHE, Annaïg (dir.), Pratiques documentaires à l’université, Paris, Presses de l’Enssib. 2012, p.11-42.

(1) 49 manuscrits médiévaux et renaissants ont été isolés dans les collections comptant plus de 6.000 manuscrits, pour leur valeur esthétique, historique ou culturelle. Deux des manuscrits sont d’ailleurs classés comme « Trésors » de la FWB. La plupart de ces manuscrits sont des témoins de la vie religieuse dans nos régions, du 13e au 16e siècle. Ces manuscrits, comme toute collection ancienne, ne sont pas à l’abri de la détérioration par le temps. Outre la détérioration due au vieillissement naturel de leurs composants, ces manuscrits ont bien souvent été soumis à des conditions de conservation hasardeuses ou instables.