Publié le 8 octobre, par
En cette période de rentrée, nous avons rencontré Josepha Calcerano, professeur de Philosophie et Citoyenneté à l’Athénée Royal Paul Brusson de Montegnée et à l’Athénée Royal de Visé où elle est également responsable des bibliothèques scolaires. Alors que son premier roman vient d’être récompensé par le Prix du Muscadier, elle nous partage sa passion, résolument communicative, pour le questionnement philosophique, moteur de sa démarche pédagogique et littéraire.
J.C. Philosophe de formation, je suis convaincue de l’importance du questionnement philosophique en termes de construction de soi et d’ouverture au monde. Et cela tout spécialement à l’adolescence, période tellement intense, marquée par les interrogations. C’est à la fois le public qui m’intéresse et que j’ai la chance de côtoyer.
J.C. En effet, mon premier ouvrage Qui suis-je ? Léonie et ses questions existentielles (Édition Entre 2 pages, 2021) sonde les réflexions d’une jeune fille en quête de soi et tient presque du petit traité de philosophie. Le Grand Test (Muscadier, 2024) quant à lui est une dystopie mettant en scène une société qui prétend avoir éradiqué le mal. Les jeunes, dans leur seizième année, y sont confrontés au « Grand Test », une série d’épreuves sous forme de dilemmes, destinées à évaluer leur aptitude morale à intégrer ou non cette société « idéale ».
J.C. Évidemment, la dystopie est une critique en soi de la société. D’un point de vue philosophique, c’est le genre rêvé pour introduire de la réflexion, de la remise en cause et éveiller l’esprit critique. J’en suis moi-même grande lectrice et l’ouvrage 1984 de George Orwell que j’ai découvert en secondaire a été pour moi une révélation.
J.C. Mon roman se construit autour de questions relatives aux bons et aux mauvais choix, au bien et au mal. En tant que philosophe, je ne pouvais évidemment pas y apporter de réponses fermées. Existent-elles seulement ? On pourrait penser que j’ai laissé une fin ouverte pour préparer une suite, mais en réalité c’est un refus d’imposer aux jeunes ma propre vision de ce que serait une société idéale. Mon but est de les amener à s’interroger. Et évidemment, je rêve que des enseignants invitent leurs élèves à imaginer la suite !
J.C. Absolument. Côtoyer mes élèves est une source évidente d’inspirations que ce soit par leurs questionnements, leurs réactions, leur langage... Je pense que c’est une chance inouïe pour une autrice. Même lorsque mes propres fils, adolescents, vieilliront, je resterai, par mes élèves au contact de la jeunesse et de ce qu’ils aiment. J’expérimente par exemple au quotidien combien les jeunes décrochent vite. Dans un cours, comme dans un roman, il faut de l’action, du cliffhanger, sinon on les perd.
J.C. Le graffiti est un art qui m’intéresse beaucoup par sa dimension rebelle et très souvent existentielle. Depuis une dizaine d’années, je collecte, par le biais de la photographie, ceux dont le message philosophique m’interpelle. Je les ai intégrés à la trame de mon histoire, comme autant de messages mystérieux ouvrant la réflexion sur une autre société possible. C’est une manière d’ancrer la fiction dans le réel. Et je trouverais fabuleux qu’un auteur de ces graffitis tombe sur mon roman !
J.C. Oui, cette collection correspond tout à fait à ma vision engagée de la littérature. Elle vise à la fois à nourrir l’imaginaire et à éveiller l’esprit critique sur des sujets brûlants d’actualité, tout en se prémunissant de toute dimension prescriptrice. Cela en fait des ouvrages vraiment intéressants à proposer aux jeunes, notamment en lecture scolaire. Parmi les sorties récentes, Over Game de Matthieu Radenac et Fanny Vandermeersch est une histoire d’amitiés à travers les jeux vidéo en ligne et un véritable coup de cœur pour moi ! Je citerai également Survivante de Stéphanie Abadie, une dystopie écologique captivante et Very Bad romance de Mabrouck Rachedi, qui parait en ce mois de septembre, autour du phénomène de la Dark romance, que je trouve interpelant et dont l’engouement est perceptible dans nos écoles.
J.C. Être sélectionnée pour ces différents prix est évidemment déjà pour moi une belle victoire ! D’autant qu’ils ont tous pour point commun de faire lire des classes et de donner voix aux jeunes dans le choix du lauréat. C’est également une belle opportunité d’être invitée dans les écoles et les bibliothèques, même si c’est actuellement davantage le cas en France qu’en Belgique.
J.C. Lors de la mise en place de ce cours, j’ai fait partie d’un collectif d’enseignants qui s’est battu pour que le terme « Philosophie » apparaisse avant la « Citoyenneté ». En effet, on était en 2015, juste après les attentats de Bruxelles, et beaucoup étaient en attente d’un cours d’éducation civique qui ferait enfin de nos jeunes de bons petits citoyens. Mais la citoyenneté, sans esprit critique, cela n’a pas de sens ! L’objectif, au contraire, et comme toujours avec la philosophie, c’est avant tout de s’interroger : Qu’est-ce qu’un bon citoyen ? Et faut-il toujours l’être ? Concrètement, avant de s’attaquer aux philosophes en 5e et 6e années, on pratique beaucoup, avec les élèves de 4e année, l’auto-défense intellectuelle. Il s’agit d’apprendre à défendre notre esprit contre les attaques publicitaires, la manipulation du langage, les raisonnements biaisés par des généralisations, des contradictions,…. C’est un apprentissage essentiel et qui intéresse énormément les adolescents.
J.C. Je ne donne pas de lecture scolaire, comme cela se fait au cours de français, mais la littérature n’est pas pour autant absente. J’ai la chance d’avoir une petite bibliothèque en classe avec des ouvrages que je propose régulièrement « pour aller plus loin ». On y trouve, par exemple, le livre et le roman graphique Sa majesté des mouches qui traite de l’organisation sociale, de la notion de pouvoir… La littérature est bien évidement une mine d’or pour la réflexion philosophique. Mon collègue, Jean-Denis Oste, qui anime par ailleurs un site de pédagogie « Philons – La philosophie autrement », recourt quant à lui beaucoup aux planches de BD et aux mangas, dont il est passionné, pour philosopher avec ses élèves.
J.C. En 2015, j’ai eu l’opportunité, grâce à la confiance de la directrice et à une partie du budget Manolo octroyé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, de rénover la bibliothèque de l’école qui n’avait plus alors qu’une fonction de salle d’étude. Tri des livres, réorganisation, achats d’ouvrages et de magazines, décoration… c’est un projet extrêmement motivant que j’ai mené avec un groupe d’élèves volontaires, ainsi qu’avec l’aide précieuse de la librairie locale, L’Oiseau lire. Cela a également débouché sur la création d’un club de lecture animé par les élèves eux-mêmes sur le temps de midi, une boite à livres installée dans le réfectoire et, surtout, suite à l’engouement des élèves, à la création d’une seconde bibliothèque réservée au degré supérieur ! Aujourd’hui, je reste coordinatrice et responsable des achats pour les deux bibliothèques tandis que le prêt est assuré par des collègues éducateurs. Le bémol, cependant, est que nous fonctionnons à l’ancienne, avec des fiches papiers, à défaut d’une gestion professionnelle et de personnel dédié à l’encodage des ouvrages.
J.C. Oui, beaucoup ! J’ai des projets qui mêlent actions et questionnements dans différents genres littéraires : romans miroirs, enquêtes… toujours à destination des adolescents. C’est avec ce public que j’ai encore, en classe comme par l’écriture, beaucoup de choses à partager.
Josepha Calcerano
Le Grand Test
Le Muscadier, 2024
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