Associer les bibliothécaires de la FWB dans la réflexion interprofessionnelle sur l’écologie du livre

Publié le 10 juillet 2023, par Françoise Vanesse, Sylvie Hendrickx


Quels rôles les bibliothécaires peuvent-ils jouer au sein de la préoccupante dynamique qui impacte, depuis plusieurs années, la chaîne du livre à savoir notamment la délocalisation et la surproduction ? En quoi notre profession peut-elle agir concrètement afin de promouvoir un livre écologique, respectueux non seulement de l’environnement mais également attentif au contenu et à l’ensemble des maillons de la chaîne : auteurs, éditeurs, imprimeurs distributeurs, libraires ? Autant de questions qui préoccupent la vingtaine de bibliothécaires présents lors de cette journée de formation organisée le 24 avril dernier par la FIBBC en collaboration avec la Bibliothèque Centrale de la province de Luxembourg et prise en charge par l’association française « Pour l’Ecologie du livre ».

Depuis quelques mois, la thématique de l’écologie du livre s’invite à l’occasion de journées d’étude comme en atteste le récent et très intéressant colloque organisé dans le cadre de la Foire du Livre de Bruxelles le 30 mars dernier et où étaient majoritairement représentés des éditeurs. Si ceux-ci, aux côtés d’ailleurs des diffuseurs-distributeurs, sont en effet en première ligne pour réfléchir et agir sur les différentes dynamiques qui impactent l’empreinte carbone du secteur du livre (délocalisation, surproduction, pilonnage des invendus…) ; les bibliothécaires peuvent, eux aussi, contribuer à alimenter ce débat qui se doit d’être interprofessionnel. Il est également tout aussi primordial qu’ils esquissent des perspectives d’actions.

C’est pour répondre à cet objectif qu’était organisée, le 24 avril dernier à Namur, dans les locaux des Archives de l’Etat, une journée de formation FIBBC à destination des bibliothécaires. Celle-ci était prise en charge par l’association française « Pour l’Ecologie du livre ». Pour rappel, cette association est née en 2019 à l’initiative d’une libraire parisienne, Anaïs Massola et d’un éditeur, Marin Schaffner. A l’origine de leur démarche engagée, on pointe leur préoccupation face à l’hyperproductivité du secteur du livre et le manque de transparence dans sa chaîne de fabrication. Par ailleurs, ils souhaitent faire émerger de nouvelles alternatives plus éthiques et écologiques afin de fonctionner différemment avec le livre. (1) Trois représentantes de cette association militante étaient à la barre pour guider la vingtaine de bibliothécaires présents à cette formation à la thématique inédite en Fédération Wallonie-Bruxelles et à laquelle notre association professionnelle est particulièrement attentive depuis plus d’un an.(2)

Le but de cette journée était double : sensibiliser les bibliothécaires à cette thématique de l’écologie du livre mais, également, élaborer une réflexion collective autour de cet enjeu en esquissant des perspectives d’actions concrètes sectorielles ou locales. Ces dernières, comme l’expriment les participants en guise d’introduction à cette journée, ne manquent pas ! Est-il envisageable de développer un rayon présentant des livres originaires de maisons d’édition respectueuses, tant du statut des auteurs que de l’environnement ? Faut-il continuer à plastifier les couvertures ? Le prêt interbibliothèques est-il écologique ? Comment sensibiliser les usagers à cette problématique ? L’élagage, qui déclasse un nombre impressionnant d’ouvrages encore en bon état, n’est-il pas trop énergivore sur le plan environnemental ? Achetons-nous trop de livres ?

Pour Georgia Froman, formatrice de l’association et par ailleurs éditrice aux éditions écologiques militantes Wildproject, ces interrogations sont plus que légitimes ! En effet, ces trente dernières années, la chaîne du livre de nos pays occidentaux a connu un phénomène de surproduction industrielle inédit et structurellement dépendant de l’économie capitaliste impactant tant la production de papier que le circuit de distribution des ouvrages. Le livre semble bel et bien devenu un produit commercial, un secteur économique comme un autre, relevant parfois de grands groupes, dont certains cotés en bourses, et dont le but est de générer avant tout un profit matériel au détriment de l’aspect culturel et intellectuel ! « Au vu de ce contexte, il est urgent de repenser collectivement toute la chaîne du livre, revenir à une production non seulement davantage respectueuse de l’environnement mais également de l’ensemble de ses acteurs ».

Aussi, la matinée fut-elle consacrée à une contextualisation de la chaîne du livre afin de mieux y situer l’action des bibliothèques et leurs potentiels leviers. A travers des échanges collectifs, soutenus par les interventions des trois formatrices aux profils professionnels variés et complémentaires, Georgia Froman, éditrice, Mathilde Charrier, libraire ; et Zoé Lacornerie bibliothécaire ; les participants ont pu approfondir leur représentation de chacun des acteurs de la chaîne. Ils sont également amenés à interroger leurs interactions complexes et les enjeux liés à l’importante évolution du secteur : mondialisation du marché du livre, délocalisation, concentration de la distribution, financiarisation des éditeurs… En contrepoint de ces données qui appellent des changements structurels profonds et sur lesquelles on peut avoir le sentiment de manquer de prises, les bibliothécaires ont découvert une série d’initiatives concrètes et inspirantes émanant de différents acteurs de la chaîne. Parmi ceux-ci : des maisons d’édition engagées dans l’écoconception de leurs livres et bien entendu, des bibliothèques menant des actions originales, à l’image du réseau de Rouen qui axe son engagement écologique autours des 17 objectifs de développement durable définis par l’ONU. (3)

Dans cette même dynamique d’actions concrètes, l’après-midi est consacrée à l’échange de pratiques professionnelles visant à faire émerger différentes pistes pour s’inscrire dans cette démarche d’écologie du livre. Parmi celles-ci :

Une dimension écologique intrinsèque

En guise de préambule, les bibliothécaires souhaitent souligner la dimension écologique inhérente à leurs institutions. En effet, les emprunts ne constituent-ils pas des alternatives efficaces aux achats de livres en librairies ou en ligne et ce, quelles que soient l’attention portée à une gestion plus écologique des bibliothèques ?

La politique d’acquisition

Certains bibliothécaires sont attentifs à privilégier la production d’éditeurs indépendants. Pour les plus militants, il apparait même envisageable d’aller jusqu’à boycotter les grands groupes éditoriaux dans le cadre de certains rayons tels que les albums et les documentaires tant la production y est foisonnante. Et, en contrepartie, de privilégier les productions de haute qualité chez des éditeurs indépendants soucieux de l’écoconception tels que les éditions belges de sciences humaines Zones sensibles, ou de nombreux éditeurs jeunesse : Les 400 coups, La Cabane bleue, Cotcotcot éditions…

L’ambivalence du prêt-inter

Malgré son inévitable impact environnemental en termes de logistique des transports, celui-ci permet de limiter les achats « doublons » tout en participant à la diversité des ouvrages disponibles dans le réseau des bibliothèques.

Le dilemme de la plastification

Pour la majorité des participants, la plastification apparait une alternative acceptable pour les fonds fréquemment empruntés afin d’éviter une autre forme de surconsommation liée au remplacement des ouvrages prématurément détériorés. On souligne cependant que certains pouvoirs organisateurs refusent le budget lié à cette plastification très onéreuse et peu écologique.

L’élagage et la seconde vie des livres

La plupart des participants questionnent les normes strictes d’élagage imposées par le Décret Lecture publique et ses potentielles dérives consuméristes. Cette problématique a d’ailleurs été soulevée au cours de la récente concertation sectorielle dans le cadre de la révision de ce décret. Du côté des pistes, les participants évoquent des élagages « solidaires » sous forme de dons à différentes associations ainsi que l’utilisation des livres élagués dans le cadre d’animations créatives.

Le développement du fonds « écologie »

Relativement récente, la réflexion sur l’impact environnemental de la chaîne du livre a fait son apparition conjointement à l’émergence des sujets traitant de l’écologie dans des domaines aussi divers que la littérature, les essais ou les documentaires. Dès lors, comment mettre en valeur cette production très diversifiée ? Certains bibliothécaires s’émancipent de la CDU et privilégient le décloisonnement à travers la création de nouveaux rayons « Transitions », « Aux gestes citoyens »,… afin de mieux rencontrer les préoccupations de leurs lecteurs. Les animations évoquées pour faire vivre ces rayons sont, quant à elles, foisons : conférences, balades littéraires, ateliers créatifs ou pratiques, groupes d’échanges citoyens,…

L’adoption en équipe d’éco-gestes

Ceux-ci peuvent être aussi divers qu’éteindre les ordinateurs, créer un compost… On souligne le rôle de soutien ou d’impulsion des EcoTeams ou éco-conseillers dans certaines communes.

Evidemment, une journée n’a pas suffit pour faire le tour des enjeux de cette si vaste problématique de l’écologie du livre. Et de nombreuses questions restent à approfondir. Comme, par exemple : quel bilan carbone pour le livre électronique par rapport au livre papier ? Le marché du livre d’occasion est-il éco-responsable ? Quelle place pour la micro-édition en bibliothèque ? Où en est-on en FWB dans cette réflexion et de quelles statistiques dispose-t-on concernant ces enjeux professionnels dans notre pays ? Pourrait-on imaginer un label distribué aux bibliothèques s’engageant dans la voie de l’écologie du livre ? Si oui, sur quels critères ? Au vu de ces nombreuses interrogations, sans doute les mois à venir déboucheront-ils sur de nouvelles et indispensables orientations d’actions concrètes à mener en bibliothèque…

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(1) Association « Pour l’Ecologie du livre » : www.ecologiedulivre.org
Manifeste de l’association : Le livre est-il écologique ?, Editions Wildproject, 2020

(2) Notre association a participé à différentes journées d’études consacrées à l’écologie du livre et organisées en Fédération Wallonie-Bruxelles depuis 2022 :

(3) Concernant l’engagement écologique du réseau des bibliothèques de Rouen : https://rnbi.rouen.fr/fr/page-descriptive/lengagement-%C3%A9cologique-des-biblioth%C3%A8ques