Echos

Nouvelles technologies : accès à la connaissance pour le plus grand nombre ou industrie de l’information ?

Publié le 28 octobre 2010, par Françoise Vanesse


L’émergence du numérique pour la recherche et la consultation d’ouvrages ou d’articles a d’importantes conséquences comme l’apparition de comportements inédits pour le lecteur, le chercheur, le bibliothécaire mais aussi certains éditeurs qui nouent des collaborations avec des acteurs privés comme Google. Toutes ces modifications posent divers questionnements essentiels sur la nature du paysage de la recherche d’information de demain et surtout sur la nature du public qui aura la chance de pouvoir y pénétrer... Ce vendredi 5 mars 2010, nous avons assisté à un débat organisé dans le cadre de la Foire du Livre de Bruxelles où Tanguy Habrand accueillait deux intervenants de taille ! Georges Hoyos, administrateur délégué du Groupe « de Boeck » et Philippe Colombet, directeur du programme « Recherche de Livres » chez Google en France.

- Georges Hoyos se dit un fervent défenseur de l’accès aux savoirs et à la connaissance par le plus grand nombre. Il rappelle que « de Boeck » a été le premier éditeur francophone à devenir un partenaire de « Google Livres » et que cette collaboration a permis à l’importante maison d’édition qu’il préside de faire un bond en avant important dans la vente de livres. Ils développent actuellement des collaborations avec « Google » en tant que plate-forme d’édition numérique. Selon Georges Hoyos, l’information numérique est un plus incontestable pour le lecteur qu’il envisage avant tout comme un consommateur exigeant une information pointue et rapide qui possède un coût car les investissements tant en personnel qu’en matériel sont importants. Dès lors il s’interroge... Comment des acteurs de plus petite taille vont-ils pouvoir tenir le cap face à de tels investissements ? Deuxièmement, comment les métiers traditionnels de la diffusion de l’information (libraires, distributeurs, bibliothécaires) vont-ils se positionner au cœur de cet éclatement. « Il risque d’y avoir des morts !... », souligne-t-il ! A moins que les pouvoirs publics ne décident de réagir afin d’accompagner tous les acteurs culturels à faire le pas mais, quand il évoque le sujet, il dit ne voir aucune politique du livre en Communauté française !

- Philippe Colombet est directeur du programme « Recherche de Livres » chez Google en France. Il rappelle que le but de ce projet lancé en 2005 est de casser les barrières entre le livre et son public. Leur vaste entreprise de numérisation du fonds de nombreuses grandes bibliothèques relève également du même désir de rendre l’information accessible au plus grand nombre. Côté bibliothèque, nombreuses sont les grandes institutions qui ont passé un accord de numérisation avec Google et, en Belgique, la Bibliothèque Universitaire de Gand a choisi cette firme pour numériser son fonds ancien. Il reste que d’autres, comme la Bibliothèque Royale de Belgique, sont plus récalcitrantes et se refusent à confier la gestion numérique d’un patrimoine public à une firme privée.

Les bibliothécaires, passeurs des connaissances de demain, doivent être attentifs à cette problématique du développement de l’information numérique et des implications que ces nouveaux comportements induisent sur leur métier. Aussi, dans les lignes qui suivent, vous trouverez un résumé de quelques points importants abordés par les intervenants lors de ce débat. En parallèle, nous avons joint la position de notre association, la fibbc, sur quelques points qui nous semblent particulièrement concerner la profession.

R comme révolution numérique

Pourquoi tant parler de révolution numérique alors que cela fait plusieurs années que les livres ne se limitent plus au support papier ?

Selon Georges Hoyos, il est clair que la révolution numérique n’est pas récente et, pour des éditeurs comme « de Boeck » spécialisés dans les domaines de la formation professionnelle, il y a longtemps que le support papier partage son rôle de médiateur des savoirs avec d’autres : cassettes-audio, logiciels éducatifs etc. Selon lui, l’on parle tant aujourd’hui de révolution numérique ou de fin du livre papier car il y a une importante campagne commerciale de promotion liée à l’apparition sur le marché des petites plates-formes qui font que le grand public se pose des questions sur leur utilisation et leurs usages. Mais il ne faut pas s’emporter car, en fait, ce n’est qu’une étape au cœur d’un processus qui a démarré depuis de nombreuses années et que beaucoup d’éditeurs ont déjà intégrée.

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I comme Information numérique

Quels sont les atouts de l’information numérique par rapport à l’information imprimée sur papier ?

 Georges Hoyos précise que l’information numérique est extrêmement rapide et que cette notion est très importante pour les professionnels qui y ont recours. Ceux-ci sont en effet demandeurs de renseignements qu’ils souhaitent obtenir dans des délais très courts et, dans ce contexte, le numérique est un plus incontestable par rapport au support papier.
 Selon Gorges Hoyos, certains professionnels sont demandeurs d’une information mise à jour de manière permanente voire instantanée. Or, l’information numérique répond complètement à de telles attentes. « C’est sans conteste un plus par rapport au support papier car le numérique colle à l’actualité et même, parfois, a de l’avance », précise-t-il ! « Le virtuel, par sa mise à jour instantanée, est donc en avance par rapport au matériel ».
 Le numérique apporte une valeur ajoutée à l’information. Selon Georges Hoyos, il est clair que les ouvertures qu’offre le numérique sont fabuleuses et notamment en ce qui concerne la diffusion de l’information mais aussi et surtout pour la valeur ajoutée que chacun peut apporter. Et de citer l’exemple des manuels scolaires numériques à disposition des enseignants. Ceux-ci peuvent y ajouter leur propre contenu de cours et donc réaliser un nouvel ouvrage à partir d’une même matrice.

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Est-il normal que l’accès à l’information numérique soit si onéreuse ?

Selon Georges Hoyos, le monde professionnel, qui est très demandeur d’une telle information, dispose bien souvent des moyens financiers de se la procurer. Et selon lui, il ne s’agit en aucun cas d’un obstacle pour ces consommateurs. D’autre part, « il ne faut jamais donner un contenu gratuitement car tout bien a de la valeur, l’information aussi et elle doit être reconnue et valorisée ». Il ouvre alors une parenthèse sur Internet qui, selon lui, a eu un impact extrêmement négatif de donner à penser que l’information pouvait être gratuite. « Mais il faut savoir que l’information de qualité demande un travail et demande donc rémunération », précise-t-il. Et de citer l’exemple du CAIRN, ce portail de revues de sciences humaines en langue française qui, selon lui, représente un bon équilibre entre l’information gratuite et payante. Le sommaire est gratuit et permet d’accéder à une partie de l’article. Le reste est payant. « La gratuité, cela n’existe pas » conclut-il ! Ou alors, « il faudrait que les pouvoirs publics prennent les choses en charge autrement que ce que fait actuellement la Communauté française ».

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L’information numérique est-elle synonyme d’éphémère ?

Selon Georges Hoyos, c’est un préjugé que beaucoup possèdent. « Or ,être dans le numérique, ce n’est pas être dans le jetable, précise-t-il ! « Quand on paie, on mise sur le long terme et dans le livre numérique, nous devons être très attentifs à la valeur de durée d’usage ». Comme il faut être aussi vigilant au format dans lequel on numérise ? « En effet, Il faut être extrêmement vigilant à ce que la numérisation se fasse dans le bon format. Car la technologie évolue très rapidement et se tromper peut coûter cher... »

V comme vecteur de vente

« de Boeck » fut le premier éditeur francophone à devenir un partenaire du programme « Google Livres ». « Google était pour nous un important vecteur de vente, précise Georges Hoyos. « Il faut savoir qu’un éditeur doit vendre ses livres et doit envisager tous les supports qui permettent de faire connaître sa production. Google est apparu comme un moyen extraordinaire de faire connaître nos livres sur un marché international ». Cet accord a été rapidement très positif : les visites sur leur site ont augmenté et la vente via Internet également. Cet accord a donc eu des répercussions très positives quant au démarrage des ventes d’ouvrages papier sur le net.

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E comme Evolutions

Quelles sont les évolutions engendrées par le développement de l’information numérique ?

- dans la conception des métiers traditionnels comme celui des éditeurs

Prochainement, Google va collaborer avec des éditeurs pour non seulement faciliter la recherche mais surtout l’accès numérique du livre. Or, Philippe Colombet ne se définit pas en tant qu’éditeur mais bien en tant que « Plate-forme numérique de vente de livres ». Selon Georges Hoyos, tous ces nouveaux comportements dans le métier d’éditeur qui visent le partage d’ouvrages et des connaissances sont très positifs et bénéfiques pour les lecteurs. Mais il s’interroge néanmoins sur la place que pourront prendre des structures de petite taille dans ce nouveau paysage exigeant.

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- dans les métiers de médiation de l’information

Grâce (ou, à cause du numérique), les frontières entre les métiers de l’information tendent à s’effacer. Des informations audio-visuelles et écrites peuvent être consultées spontanément. Le potentiel de recherche et de l’information est donc en train d’exploser. Face à cet éclatement, comment les métiers anciens et traditionnels de l’information vont-ils se positionner par rapport à cette situation : libraires, distributeurs... bibliothécaires ? « Dans une évolution telle que celle que nous vivons, il y aura des morts » affirme Georges Hoyos ! « Il y aura ceux qui évolueront et resteront ceux qui n’auront pas compris comment intégrer leur ancien métier dans cette extraordinaire évolution ».

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- dans la façon de lire

L’apparition du livre numérique entraîne des modifications au niveau des comportements de lecture et les façons de lire. Certes, selon les interlocuteurs, il y aura toujours les livres que l’on lira de manière linéaire du début à la fin. Mais le numérique offre le grand avantage d’entrer en contact avec l’information à un endroit bien précis et d’accéder directement au contenu que l’on recherche... Selon Philippe Colombet, « il est clair que certains livres doivent être feuilletés avant d’être achetés et que cette particularité du livre papier est immuable tout comme la lecture immersive. Par contre, pour une consultation d’ouvrages juridiques, pratiques ou professionnels, il y a une appétence plus forte pour des programmes tels que « Google Books » qui propose rapidement des ouvrages de référence où l’on va chercher rapidement l’information là où elle se trouve ».

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- dans le métier de libraire

Selon Philippe Colombet, il faut veiller à développer dans les librairies classiques de nouvelles formules de vente. Par exemple, l’on pourrait imaginer d’acheter un ouvrage numérique chez un libraire traditionnel qui serait abonné à la plate-forme de vente numérique de « Google »... une fois la vente de l’ouvrage numérique vendu via cette plate-forme, le libraire serait rémunéré de cette vente mais physiquement il ne se passerait rien !

M comme mort du support papier

C’est devenu la question à la mode : assiste-t-on à la fin du règne du support papier ?

Selon Georges Hoyos, pour l’instant la complémentarité est totale et un achat de livre papier chez « de Boeck » permet d’accéder au numérique. Ainsi, en achetant un livre de droit, l’acquéreur, grâce à un numéro présent dans son livre, peut se mettre directement en lien avec la base juridique de « Larcier ». Sans conteste selon lui, c’est un plus pour le client.

Il ouvre une parenthèse intéressante concernant cette complémentarité papier-numérique. Il faut en effet savoir que les moteurs de recherche analysent le comportement du consommateur... « Si un ouvrage papier une fois acheté se tait et n’envoie forcément plus aucun message à l’éditeur, il faut savoir qu’un livre numérique, lui, continue de fournir des informations à l’éditeur ! Car une fois que vous êtes connectés à une base de données, on peut analyser votre comportement face au livre et à son contenu et donc mieux comprendre les attentes des lecteurs. Cette combinaison papier et numérique est une source de créativité marketing !  ».

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P comme producteurs culturels

Tous les producteurs culturels trouvent-ils une place au cœur de ce système de développement et de l’accès à l’information numérique ?

Philippe Colombet et Georges Hoyos sont bien d’accord pour affirmer que le développement à l’accès à l’information numérique reste coûteux et reste l’apanage de grands secteurs d’acteurs industriels importants. C’est dans ce contexte que Georges Hoyos rappelle quel devrait être l’enjeu politique des pouvoirs publics en Communauté française. « J’ai toujours dit qu’il n’y avait pas de politique du livre en Communauté française. Or, face à une évolution telle qu’on la connaît aujourd’hui, les investissements financiers sont très importants : la formation du personnel coûte énormément et il est clair que des acteurs de plus petite taille ont du mal. Les pouvoirs publics ont dans cette problématique un rôle à jouer pour permettre à un maximum d’acteurs d’avancer dans ce sens. Et c’est là que l’on constate que malheureusement l’on manque de moyen en Belgique francophone car il n’y a pas réellement de politique du livre. Quand on voit ce qui se passe en France, on a l’impression d’être dans une autre dimension. « Il faut impérativement s’interroger sur le contexte dans lequel se fera la recherche d’informations de demain et aider les structures moins fortes à être dans le parcours et éviter que les géants n’écrasent tout sur leur passage, ce qui est un risque évident... » conclut-il.

Jean-Michel Defawe

Françoise Vanesse