Une rencontre avec Rascal : Cent pour cent créateur

Publié le 22 novembre 2011, par Françoise Vanesse


Dernièrement et dans le cadre de l’exposition « Double six. Rascal et Cie » (1) , une rencontre avec l’auteur- illustrateur Rascal était organisée au Centre Culturel des Chiroux par le Pôle jeune Public, Coopération Culturelle régionale de l’arrondissement de Liège. Cette matinée très enrichissante passée en compagnie de cet artiste a permis aux participants, bibliothécaires, enseignants et autres professionnels de la lecture ou de l’animation, de découvrir les multiples facettes de son travail et la cohérence de sa démarche.

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La démarche de Rascal est identique à celle des grands créateurs : foisonnante, porteuse de nombreuses références littéraires et artistiques, multiple et extrêmement variée. Aussi plonger dans l’univers de cet auteur- illustrateur qui reçut le Grand prix triennal en littérature de jeunesse de la Communauté française en 2009, équivaut à s’immerger au cœur d’une multitude d’approches, tant graphiques que littéraires et à découvrir inéluctablement des créations parfois, au premier abord, très différentes !
Face à un artiste qui jongle avec les types d’albums qu’il crée, la médiation est importante ! C’est dans ce contexte qu’une exposition réalisée par Chantal Cession pour les « Ateliers du Texte et de l’Image asbl » et intitulée « Double six. Rascal et Cie » a été mise sur pied à la demande de la Communauté française. Cette exposition très structurée, faite d’originaux, de livres et de différents éléments reflétant l’univers de l’artiste permet de mieux cerner sa personnalité mais aussi et surtout la cohérence et la justesse de sa démarche. Cette exposition, empruntable par les bibliothèques de la Communauté française, était dernièrement accueillie aux Chiroux à Liège. C’est dans ce cadre qu’une rencontre avec Rascal était organisée le 23 mai dernier.

Dans les lignes qui suivent, quelques notes afin de relater quelques moments de cette journée.

Le visuel de l’exposition

Dans un premier temps, Rascal nous présente le visuel de l’exposition : une affiche dans laquelle l’on voit un dessin représentant le portrait d’une personne attablée à un bureau et dont la main est figurée par son double, son reflet.
Rascal explique que cette affiche est à l’image de sa démarche :

° cette affiche interpelle et questionne ;

° cette affiche véhicule l’image du « double » qui est un thème qui lui est cher sur différents points :
  Le « double » : c’est la quête de l’identité qui est un thème qu’il aime explorer dans son travail ;
  Le « double », c’est aussi la collaboration qu’il tisse avec de nombreux illustrateurs. Cette compagnie est capitale pour lui ;
  Le « double six » reflète l’idée de la chance. C’est en effet lorsque l’on fait un « double six » aux dés que l’on peut commencer à jouer… Rascal pense que la chance a été déterminante dans son parcours. C’est grâce à de nombreuses rencontres avec des artistes et des gens du monde de l’édition qu’il a pu démarrer. Cette idée de chance lui tient à cœur.

Brève présentation de Rascal et de l’exposition par Chantal Cession

Rascal est né en 1959. Il a fait ses débuts dans la publicité et après avoir effectué différents métiers dont une activité de graphiste dans le domaine théâtral, il se lance dans la littérature de jeunesse. Aujourd’hui, c’est un auteur à part entière, reconnu et qui a à son actif plus de cent livres traduits dans différentes langues étrangères. Chantal remercie Rascal pour sa présence à cette rencontre et pour le temps qu’il va consacrer aux participants.

Elle évoque ensuite l’exposition telle qu’elle se présente au Centre culturel Les Chiroux. En effet, la salle d’exposition des Chiroux permet d’accueillir une exposition plus importante que celle constituée au départ en vue de sa circulation dans les bibliothèques. Aussi, à la demande du Centre culturel, Rascal a accepté de confier, en plus, les dessins originaux de trois livres récents : Au son de la fanfare , Monsieur Casimir et Je t’écris ainsi que des photos et quelques objets personnels.

La scénographie de l’ensemble a été réalisée avec créativité par Gilles Dewalque, régisseur des Chiroux .

Quant à la partie de l’exposition constituée pour circuler dans les bibliothèques, elle s’articule autour de 4 axes :

• 1 : L’univers de Rascal

• 2 : Du brouillon au texte publié

• 3 : Rascal : créateur d’images

• 4 : Rascal et Cie

Lecture

En guise d’introduction, Chantal nous fait une lecture de l’album Blanche dune .
Suite à cette lecture Rascal évoque des thèmes présents dans ce livre.

  Cet album reflète bien sa démarche car des questions sont ici évoquées, suggérées mais les réponses ne sont jamais évidentes du premier abord ;

  Les souvenirs personnels sont très importants pour alimenter son inspiration.
Ensuite, Rascal nous explique qu’il ne souhaite pas faire des livres pour enfants mais bien des livres d’enfance. Il se définit comme un adulte responsable mais dont le fil de l’enfance n’a pas été coupé. Pour lui, c’est la bonne recette pour rester bien vivant !

A ce sujet, voici ce qui est retranscrit sur un panneau présent dans cette exposition :

« J’aime le travail des auteurs où le souci du beau dessin est absent, où l’esprit d’enfance l’emporte sur le côté enfant. J’aime les albums où la tendresse ne vous saute pas au visage » (Rascal)

Nous découvrons en compagnie de Rascal différentes planches d’originaux présentés dans cette exposition.

° Une première série est consacrée aux originaux du livre Au son de la fanfare


  Cet album est un recueil de certaines comptines que Rascal a illustrées. Ces comptines, l’illustrateur les a choisies en fonction des images qui lui venaient directement à l’esprit quand il les entendait ;

  On constate une grande diversité dans le style des images proposées dans cet album. Cette importante variété est voulue et se retrouve, à une tout autre échelle, dans l’ensemble de son travail. En effet, Rascal souhaite surprendre, ne pas produire toujours le même type d’illustrations. Certains illustrateurs réalisent, selon lui, toujours le même style d’images et il trouve cette façon de travailler ennuyeuse. Personnellement, il souhaite ne pas s’enfermer dans un style et être libre de façon à surprendre le lecteur. Chaque album, c’est souvent une proposition différente. La liberté est une idée essentielle qui guide sa démarche.

° Originaux de Monsieur Casimir

  Nous approchons ensuite les originaux de Monsieur Casimir. Rascal nous présente le petit album qui met bien en évidence la part importante de l’humour et du non sens que l’auteur aime également explorer dans son travail et ses livres.
  Aux côtés des originaux des illustrations qui composent Monsieur Casimir, une petite étagère (montée à la manière de M. Casimir !...) présente des livres de poésie et de contes : Villon, Verlaine, Prévert, Boris Vian, J. Renard, Perrault, Andersen. Ce sont quelques - unes de ses références.
  En nous présentant les composantes de cette mini-bibliothèque personnelle, Rascal explique que la poésie est très importante pour lui . Il se définit d’ailleurs comme un « grand amoureux de la poésie ». Déjà quand il était jeune, il adorait les classiques. Selon lui, il est capital de mettre les jeunes en contact avec de la bonne poésie et, à ce sujet, il regrette que celle-ci ne soit plus suffisamment présente dans les programmes scolaires.

° originaux de l’album Je t’écris


  En fait ce livre est né suite à un atelier d’écriture auquel Rascal avait participé avec une classe et au cours duquel les élèves avaient rédigé des lettres ;
  Lors de cet atelier, une petite fille avait rédigé une lettre pour son papa et Rascal s’est inspiré de cette lettre pour démarrer et ensuite construire son album. Les croquis des visages des enfants sont légers et simples mais figurent bien la personnalité de chaque auteur de la lettre. Les boîtes aux lettres reflètent elles-aussi le caractère de la maison où la lettre est adressée : par exemple, une boîte aux lettres en forme de corps de chien (pour la lettre où il est question de cet animal) ou une boîte aux lettres rappelant des tiroirs de morgue pour la lettre qui évoque la mort.

Rascal et Cie

  A la hauteur du panneau présentant les dessins originaux d’illustrateurs qui ont mis des images sur ses textes, Rascal passe ensuite en revue la série de livres pour lesquels il a travaillé avec un illustrateur comme notamment , Le sourire du roi, L’ogre noir, Le corbeau de Paradis, Ami-Ami, Poussin noir, Mon petit Roi, Le voyage d’Oregon… Ces collaborations sont capitales dans sa démarche et, souvent, il noue des relations d’amitié avec certains illustrateurs comme par exemple, avec Louis Joos.
  A ce sujet, Rascal évoque son amitié avec Louis Joos et leur façon de travailler ensemble. C’est une véritable connivence. Louis Joos lui fournit des planches et, comme il le précise, il « met des mots dessus ». L’histoire se construit ainsi, petit à petit, par un dialogue sous-jacent entre l’illustrateur et l’auteur car il existe une confiance mutuelle. Il insiste sur la qualité du travail de l’illustrateur et les nombreuses références picturales présentes dans cet album : tantôt un pop américain, ou un Turner…
  Le Voyage d’Oregon rappelle qu’il aime construire des récits à partir de « non-histoires ». En fait dans le Voyage d’Oregon il ne se passe rien de spécial… Et pourtant cet album offre différentes couches de lectures différentes. C’est une de ses forces.

Rascal : créateur d’images

Nous découvrons ensuite certains albums tous différents quant à la technique utilisée par Rascal pour illustrer ses propres textes :

° Le petit chaperon rouge
Pas facile de faire un xième album sur ce classique ! Dans cet album, il a souhaité utiliser une technique qu’il n’avait jamais utilisée auparavant et qui fait référence au graphisme de certains jeux vidéo.

° Bonhomme pendu
La « balade des pendus » de Villon a bercé son adolescence. Il y est fait référence dans cet album pour lequel il a rassemblé une série de vieux papiers, de veilles gravures qu’il aime trouver « aux puces ».

° Pip et Pop
Un livre un peu « philo » et de réflexion sur la place et le rôle de la création. Au niveau graphique, il est parti d’agrandissement de trames de véritable gravure.

° En 2000 trop loin…

Rascal évoque avec beaucoup d’émotion la genèse de ce livre. Il y avait longtemps qu’il souhaitait parler de cette question difficile, celle d’un enfant dont le papa est emprisonné. Personnellement, il a connu un ami qui à dix neuf ans a été condamné. Pour aborder ce sujet délicat, il a pris le parti de se mettre à la place de l’enfant. Les illustrations sont souvent en gros plan : c’est pour évoquer l’ambiance carcérale où l’on manque de recul. Ce n’est pas un livre militant mais c’est un livre où l’émotion est très grande.

° Comme mon père me l’a appris
Pour Rascal, le thème de la transmission est très important. C’est ce sujet qui est évoqué dans cet album. C’est un livre qu’il n’aurait pas pu réaliser étant plus jeune. Il y est aussi question de faiblesse et de force. Il a choisi le décor de la banquise car il n’y a presque rien et que ce « vide » peut laisser toute la place aux émotions.

Rascal réalise aussi depuis peu des couvertures de roman.
C’est un travail très riche qui permet une grande liberté et qu’il apprécie beaucoup.
Les livres exposés ici sont :

  J-N SCIARINI, Le garçon tantôt oublié, médium, l’école des loisirs ;
  M. PAGE, Traîté sur les miroirs pour faire apparaître les dragons, médium, l’école des loisirs ;
  B. SMADJA, Un week-end d’enfer, Neuf, l’école des loisirs ;
  A. BOUIN, Petite feuille nénètse, médium, l’école des loisirs.

Conclusion

C’est notamment par la découverte de ces albums que cet échange pris fin.
Cette rencontre aura permis de mieux cerner une démarche sans marque déposée et d’une grande unité : celle qui respire la liberté, la justesse de l’émotion, l’engagement, la constante innovation graphique et surtout la mise en valeur de cette part d’enfance qui sommeille en chacun d’entre-nous…
De ce moment passé en compagnie de Rascal, on garde l’image d’un artiste à part entière qui a décidé de consacrer son talent au partage d’émotions et de questionnements au travers de l’album pour la jeunesse. On est frappé par la justesse de sa démarche et par ses multiples facettes : que ce soit dans son approche graphique ou par sa capacité d’innovation constante. Son talent est de taille et, pourtant, on rencontre un homme qui possède un grand recul vis à vis de son travail et, par conséquent, qui est très modeste.
C’était une rencontre très intéressante, sincère, juste et sensible qui aura, inéluctablement, motivé les professionnels présents à imaginer, de retour dans leur institution, divers projets en rapport avec la démarche de cet auteur illustrateur de talent.

Françoise Vanesse


(1) Double six. Rascal et Cie

Une exposition réalisée par "Les Ateliers du Texte et de l’Image asbl" à la demande du Ministère de la Communauté française dans le cadre du Grand Prix triennal de littérature de jeunesse de la Communauté française attribué à Rascal en 2009. Cette exposition peut être empruntée par chaque bibliothèque.

Pour plus d’infos : Karine Magis, karine.magis@cfwb.be