Rencontre avec Stéphanie Fort , Bibliothécaire au CDI du Collège St Pierre à Jette

Priorités aux compétences documentaires et aux changements

Publié le 9 novembre 2009, par Françoise Vanesse


De nombreuses bibliothèques d’écoles souffrent d’un manque cruel de reconnaissance. Certaines personnes concernées se battent pour un indispensable changement. Récemment, leur mobilisation a débouché sur la constitution d’un groupe de travail né à l’initiative de l’Unécof suite aux résultats alarmants d’une enquête de 2007 concernant les compétences documentaires des étudiants qui accèdent à l’enseignement supérieur en Communauté française.
C’est dans ce contexte que nous avons rencontré Stéphanie Fort du CDI au Collège St Pierre de Jette. Cette bibliothécaire de formation, particulièrement active au sein de ce groupe, évoque ses priorités : contribuer à améliorer l’esprit critique des jeunes en matière de recherche et revaloriser le statut atypique des bibliothèques d’école.

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F.V. : Vous êtes responsable d’une bibliothèque d’école au Collège St Pierre de Jette. Quelle terminologie préconisez-vous pour désigner les bibliothèques qui se situent en milieu scolaire ?

S.F. : Sans hésiter, je préfère le terme français CDI : Centre de Documentation et d’Information car je suis convaincue que, dans une école, il vaut mieux valoriser tout ce qui est documentaire. Attention, cela ne veut pas dire que je néglige tout ce qui est roman et je suis, bien entendu, persuadée de l’utilité de développer auprès des élèves une culture de la lecture plaisir. D’ailleurs, en collaboration avec certains de mes collègues, il nous arrive d’inviter un écrivain ou de réaliser un projet orienté davantage vers la littérature comme l’année dernière où nous avons fait un important travail critique avec des élèves de 5ème et de rhéto sur François Emmanuel.
Néanmoins, nous devons opérer des choix et, afin que les élèves soient le mieux préparés pour leurs recherches futures dans le supérieur, il faut, à mon avis, avoir un centre de documentation performant. Certaines directions commettent d’ailleurs souvent cette erreur de ne pas établir de priorités lorsqu’elles créent une bibliothèque au sein de leur établissement. Ces personnes sont de bonne volonté mais n’ont pas de projet précis par rapport à leurs collections.

F.V. : Vous venez de mettre le doigt sur un des problèmes majeurs du parcours de ces bibliothèques d’école : à savoir le règne de la « bonne volonté », le flou total, l’absence de terminologie et d’objectifs précis. C’est vrai qu’il n’existe aucune obligation légale en la matière ...

S.F. : En effet, au niveau de la Communauté française, aucun texte ne prévoit l’obligation, voire la nécessité, d’avoir une bibliothèque au sein de l’école. Encore moins d’indications, en conséquent, sur la façon dont il serait intéressant d’organiser cette bibliothèque ! La Communauté française prévoit bien un poste de « secrétaire-bibliothécaire » attribué à certains établissements à partir d’un pourcentage d’élèves. Ainsi, si le quota est atteint, l’école peut engager soit un secrétaire-bibliothécaire, soit un éducateur. Vous l’avez compris, les écoles en difficulté optent bien souvent pour l’engagement d’un éducateur. D’autre part, dans le meilleur des cas, si le poste était vraiment affecté à développer un projet concernant la bibliothèque, il n’y a aucune obligation que la personne possède le titre de bibliothécaire professionnel. De plus, aucun subside de fonctionnement n’est prévu. Il y a juste le salaire qui est payé et, à charge de l’école de trouver les fonds pour l’achat des livres et du mobilier !
Cette disparité a pour conséquence une incroyable inégalité puisque, dans la plupart des cas, ce sont les écoles les plus riches qui sont capables d’assumer un CDI.

F.V. : Ici, vous êtes donc une privilégiée puisque, non seulement l’école a décidé de développer un projet construit de bibliothèque mais en plus a recruté une bibliothécaire professionnelle. Ce projet est-il récent ?

S.F. : Non, pas du tout. Le projet de créer un CDI remonte à une quinzaine d’années. Un petit groupe de professeurs de français était à l’origine. Ils ont planché sur le sujet, ont réuni des livres dans un local qui a rapidement été agrandi et qui aujourd’hui atteint une superficie de septante-cinq mètres carrés. Cinq ordinateurs composent notre section numérique. Quant aux collections, elles ont bien entendu augmenté au fur et à mesure des années. Dès le départ, leur projet était de créer un CDI en se basant sur le modèle français. Il est vrai qu’en France, dans le secteur de l’enseignement, ils possèdent une culture de la bibliothèque beaucoup plus pointue et le statut des CDI est très précis, reconnu et valorisé. Les personnes qui sont attachées à ces CDI, sont reconnues comme professeurs-documentalistes et entièrement assimilées au corps professoral et donc au domaine pédagogique. Ce qui n’est pas mon cas ici. Quoique possédant le diplôme de « bibliothécaire », je reste une « administrative... ».

F.V. : Une administrative qui fait du pédagogique ?

S.F. : C’est vrai que je me sens bien plus qu’une administrative car, bien que la gestion des collections soit importante et me prenne beaucoup de temps, il faut aller au-delà. Donc, dans mon projet de développement de l’approche documentaire, j’accueille les élèves et je propose régulièrement des formations à la recherche. Je souhaite rendre l’élève le plus autonome possible à la fin de sa rhéto : mes cotes sont calquées sur la CDU et j’ai un intéressant rayonnage consacré aux ouvrages de référence. Je leur donne des repères pour qu’ils ne soient pas perdus lorsqu’ils se retrouveront dans des bibliothèques universitaires ou autres. Je leur fais des démonstrations sur différents catalogues, que ce soit ceux de l’ULB ou l’UCL.
Toutes ces démarches ne sont pas évidentes, il faut les initier à la terminologie : descripteurs, mots clés, thésaurus, cote de rangement : ce n’est pas si facile et cela prend du temps. Je sais que certaines bibliothèques publiques font également ce travail mais, au cœur de l’école, cette approche revêt encore un autre sens et surtout quand on se souvient de cette enquête récente sur les compétences des jeunes par rapport à la recherche dans l’enseignement supérieur.

F.V. : Une enquête dont les résultats étaient alarmants ! Pouvez-vous nous en dire davantage ?

S.F. : Alarmant ! Ça, c’est clair. On est tombé de haut lorsque l’on a découvert ces chiffres avec ma collègue lors d’une conférence donnée par Bernard Pochet qui, avec Paul Thirion, a chapeauté tout ce travail. En fait, les résultats de cette enquête qui visait notamment à évaluer le niveau de compétences documentaires des étudiants qui arrivent pour la première fois dans l’enseignement supérieur, étaient catastrophiques ! La moyenne de l’étudiant belge en la matière est faible : 7,67 sur 20 ! (1) Mais, ce qui est par contre positif et encourageant, c’est que cette enquête révélait que la fréquentation d’une bibliothèque ou d’un centre de documentation au cours de l’enseignement secondaire favorisait le niveau de performance. Je suis donc plus que jamais convaincue de l’importance du rôle que nous avons à jouer au sein des CDI en travaillant sur ces compétences documentaires. D’autant plus que de nombreux jeunes à l’heure actuelle n’envisagent même pas, avant de venir au CDI, de faire une recherche via le livre.

F.V. : Pourriez-vous nous décrire la façon dont vous percevez leur approche par rapport à la recherche documentaire ?

S.F. : Il y a une constatation évidente : c’est que c’est le tollé général quand je dis qu’ils doivent impérativement faire une recherche uniquement à partir des ouvrages présents ici. C’est clair, ils ont le réflexe « internet » et ce, sans aucun esprit critique. Face à cette attitude, j’amène des contre-exemples qui leur expliquent bien qu’internet ce n’est pas la baguette magique. Soyons clairs, je ne diabolise pas du tout internet mais je leur explique les dérives possibles. D’autre part, ils n’ont aucune conscience du « copier-coller », du plagiat, c’est effrayant. Pour eux, ces méthodes, je dirais même réflexes, sont tout à fait normaux. Heureusement, les choses évoluent et je commence à voir le travail que nous réalisons ici au CDI depuis quelques années. J’explique aux jeunes le principe de la source, des citations. (2) Vous savez, actuellement, dans les compétences exigées par la Communauté française, l’élève doit être capable de faire une recherche de manière autonome, établir une bibliographie. Comment voulez-vous qu’un professeur de français, qui dispose de deux fois cinquante minutes, puisse concrètement se rendre avec sa classe en bibliothèque publique pour faire un tel travail ? C’est tout à fait inconcevable et paradoxal car la Communauté française inscrit cela dans ses exigences mais parallèlement ne prévoit rien qui peut aider l’enseignant et ses élèves.

F.V. : Dans un tel contexte, ne pensez-vous pas qu’il serait également utile de mieux former ces jeunes à la recherche sur Internet ?

S.F. : Certainement et cela fait partie de mes projets. Nous avons d’ailleurs réalisé un syllabus avec une collègue. Mais c’est un sujet très vaste et difficile et je ne sais par quel bout le prendre. Je possède un bouquin très intéressant « Les dix plaies d’internet... » (3). Il y a plein de cours qui existent et les élèves seraient très demandeurs... Pour l’instant, je me limite juste à les sensibiliser et à aiguiser leur esprit critique mais je dois en rester là malheureusement faute de temps ! Mais cela me semble déjà une bonne base.

F.V. : Comment vous situez-vous par rapport à la bibliothèque publique proche de l’école ? Vous arrive-t-il de tisser des collaborations ?

S.F. Je ne me sens pas du tout en rivalité avec les bibliothèques publiques quoique certains ne l’envisagent malheureusement pas de cet œil... J’étais d’ailleurs très triste car, au début que j’ai travaillé ici, je sais que, étant donné ma formation de bibliothécaire, certains auraient pu envisager mon rôle comme concurrentiel ! Mais il faut savoir que les bibliothèques d’écoles n’ont nullement la prétention de pouvoir concurrencer les bibliothèques publiques. Premièrement, nous n’avons pas la quantité d’ouvrages présents dans les bibliothèques publiques, mon local est trop petit et cela m’arrive tous les jours de renvoyer les élèves vers la bibliothèque proche de l’école car les élèves ne trouvent pas ici ce dont ils ont besoin. De plus, maintenant, je suis en mesure d’aller voir leur catalogue collectif donc je renvoie très fréquemment vers les bibliothèques et je sais que de nombreux élèves d’ici y vont régulièrement. Je me sens donc complémentaire et ouverte vers l’extérieur.
Il y a quelques années, nous avons collaboré autour du projet « Histoires à trous ». J’étais très intéressée par ce projet mais nous n’avions pas les ressources nécessaires au niveau de nos collections pour le mettre en place. Nous avons donc initié une collaboration avec la bibliothèque publique et mes collègues ont été satisfaites.

F.V. : Vous venez d’évoquer votre formation de bibliothécaire. Cette fonction n’est-elle pas, très paradoxalement, atypique au sein des établissements qui ont la chance d’avoir créé une bibliothèque scolaire ?

S.F. : Oui, certainement. Je possède une liste de bibliothèques d’écoles que j’ai élaborée moi-même et, bien souvent, mes collègues sont majoritairement des professeurs qui ont des heures accordées pour tout ce qui est coordination pédagogique. En général, les profs qui travaillent dans des bibliothèques sont super-motivés mais ils n’ont pour la plupart pas la formation et manquent de temps car ils doivent bien souvent combiner leur horaire et la gestion de la bibliothèque ! Il y en a qui ont plus de chance et qui ont un horaire complet à la bibliothèque mais il reste que le manque de formation peut être handicapant.

F.V. : Au cœur de cet imbroglio, quel serait votre rêve ?

S.F. : Un grand rêve... En France, une expérience très intéressante a eu lieu en Bretagne. 150 écoles avec CDI se sont fédérées et il y a des coordinateurs d’établissements qui s’occupent de les gérer. Ils ont tous le même logiciel, tous un catalogue collectif de périodiques et de bouquins, ils peuvent s’échanger les notices : c’est génial ! C’est bien sûr utopique pour notre Communauté française. Il reste que, petit à petit, nous commençons avec différents CDI à avoir les mêmes logiciels et on commence à découvrir des moyens pour nous échanger des notices. Nous pouvons donc aider ainsi les non-professionnels.

F.V. : Vous percevez donc néanmoins des petites avancées...

S.F. : Oui, par ci par là les choses bougent. Mais le projet le plus prometteur à l’heure actuelle est sans doute celui né suite à l’initiative de l’UNECOF. (4) Cette association d’étudiants, suite aux résultats de l’enquête dont je vous ai parlé, a décidé de plancher sur ce dossier afin de réfléchir ensemble et de voir s’il y a moyen de toucher les politiques afin de les convaincre, d’une part de la nécessité de ces bibliothèques au sein des écoles et, d’autre part, de l’importance de la revalorisation du statut du bibliothécaire dans ces établissements scolaires. Deux réunions ont déjà été organisées avec des professionnels concernés et originaires de différentes bibliothèques en milieu scolaire. Le projet sera de longue haleine mais nous restons confiants...

Notes...

Propos recueillis par Françoise Vanesse

Jette, le 31 août 2009

Collège St Pierre - Jette

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1090 Jette

02/ 421 43 30

CDI « Michel Claisse ».

Responsable : Stéphanie Fort.

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