Droit de prêt : droit au chapitre ?


Les responsables des bibliothèques publiques de notre pays et leurs deux fédérations sont-ils infréquentables ou irresponsables aux yeux de l’Etat fédéral dans le dossier du droit d’auteurs sur le prêt ?

Malheureusement, c’est bien la question que l’on peut légitimement se poser, après un an de négociations ministérielles avec les seuls représentants des auteurs et des éditeurs laissant de côté, malgré de nombreuses promesses, le troisième « partenaire », le secteur des bibliothèques.

Notre patience commence à avoir des limites.

Devons-nous en conclure que les communications, sur ce dossier, avec le Ministre de la Mer du Nord (et autres compétences dont le droit d’auteur, M. Vande Lanotte) ne sont pas souhaitées ? Depuis un an, nos fédérations professionnelles ont indiqué qu’elles voulaient dialoguer avec les différents partenaires de ce dossier. Rien d’anormal puisqu’en Communauté française, l’intervention financière devra être prise en charge directement par les bibliothèques. Nous n’avons jamais été sollicités pour une présence à la table de négociation.

Il y a de quoi être irrité à la consultation, via le net, des propos de Reprobel et de la Scam.
Sous la signature de Christian Cherdon, dans l’avant-dernier numéro du bulletin de Reprobel (n°21) on peut lire ce billet d’humeur dont l’extrait ci-dessous révèle le ton. « … Loués gratuitement auprès des bibliothèques, moi le livre ou mes soeurs en audio et vidéo, nous sommes vraiment sacrifiés. Nous ne recevons ni compensation correcte ni reconnaissance pour notre contribution à la culture. Et en plus, puisqu’on nous achète moins, nos parents, titulaires des droits, voient leurs revenus très diminués. Pensez donc : on évince l’un ou l’autre, on tient compte du seul critère du nombre de lecteurs pour nous allouer par an une pièce ou cinquante centimes pour survivre. C’est trop injuste… Et moi, le livre, je me retrouve au CPAS, ce nouveau Centre Pour Auteurs Sacrifiés »http://www.reprobel.be/fr/reprobel-en-quelques-mots/publications/bulletin-dinformation.html

Un peu plus loin, dans ce même numéro, sous la signature de Roger Blanpain, président de VEWA qui a dirigé la plainte contre l’Etat belge à la Cour de Justice européenne, on découvre : « La rémunération doit être appropriée : VEWA envisage 9 euros par lecteur pour les grandes bibliothèques et 6 euros pour les petites bibliothèques. »

Dans la présentation des sociétés de droit d’auteurs, on peut lire : « …Les sociétés d’auteurs SACD, SCAM et SOFAM – largement représentatives d’auteurs concernés, … se sont fortement impliquées dans la concertation mise en place par le Service de la Propriété intellectuelle du SPF Économie en vue de définir un nouveau système de rémunération… Les négociations menées par le Cabinet du Ministre Johan Vande Lanotte, impliquant aussi les Communautés, permettront de fonder un système de rémunération plus sûr et plus transparent pour le prêt public d’œuvres. Elles s’avèrent sérieuses, constructives et respectueuses des intérêts de toutes les parties. Comme nos sociétés l’ont proposé d’emblée, le nouvel arrêté permettra de calculer la rémunération due sur des bases objectives (nombre d’ouvrages en collection, nombre de prêts), de rendre les montants à payer prévisibles pour les établissements de prêt et d’amener enfin – les auteurs le demandent – la rémunération au plus près du niveau de nos voisins hollandais, français et allemands, selon une approche respectueuse des bassins culturels concernés… » http://www.sacd.be/Positions-institutionnelles

Les bibliothèques publiques et leurs fédérations n’ont jamais eu la possibilité de confronter dans une réunion de négociation leur vision du problème. On parle de « concertation » dans l’extrait repris ci-dessus. On est loin du compte : les seuls échos perçus au Cabinet fédéral sont ceux exprimés par une des parties prenantes. Quant aux montants évoqués, il faut bien les avoir en tête : ainsi, aux Pays –Bas, chaque livre prêté demande une contribution « droit d’auteurs » de 0,1220 €, et de 0,2851 € pour les CD et les DVD. Quand on sait qu’en Belgique francophone, en 2010, plus de 11 millions de livres ont été prêtés, la correspondance avec le modèle hollandais donnerait pour le Sud une charge de plus de 1,35 millions d’euros soit approximativement trois fois plus qu’actuellement. A cela s’ajouterait un effet rétroactif de 8 ans (jusqu’en 2004 !).

Nous sommes exaspérés par les images simplistes véhiculées (on verse une larme face à la prose du Vice-Président de Reprobel citée ci-dessus en nous permettant de rappeler que les livres que nous achetons, nous ne les volons pas, qu’ils comprennent déjà un droit d’auteurs/éditeurs et que, si nous n’effectuions pas cette démarche, nous les bibliothèques, la production de certains auteurs belges se verrait méchamment compromise). Oublié aussi tout le travail de conservation de ce patrimoine et de leur découverte par les jeunes qui, par nature, ne sont pas tous (loin s’en faut) des fans de l’écrit – ce qui peut laisser présager, sans notre travail à la base, un désert s’installant progressivement dans l’accès au livre.

Nous ne pouvons pas accepter non plus les commentaires « donneurs de leçons » de la SCAM qui, par exemple, écrit dans sa brochure sur le droit d’auteur : « Prêt public mal appliqué en FWB : le total déclaré sur les trois ans à Reprobel est de 700.132 utilisateurs majeurs et de 543.462 utilisateurs mineurs. Les chiffres officiels sont 1.156.835 majeurs et 1.442.909 mineurs » soit plus du double. Ils ne veulent pas comprendre qu’une personne entrant en bibliothèque n’emprunte pas systématiquement des livres, vient parfois pour la simple consultation, pour des animations (spécialement les jeunes), des formations aux TIC etc… A tout le moins, il n’est pas correct de laisser sous-entendre que les bibliothécaires francophones sont des fraudeurs… www.sacd.be/IMG/pdf/20111215_Pret_public_4_.pdf

Nous nous permettons de rappeler, une fois de plus, que nous n’avons pas encore eu l’honneur d’être convié à la table de négociation pour simplement exprimer notre réalité et tenter que l’on puisse l’écouter voire la prendre en compte en partie. Or, dans le Sud de notre pays, un texte, déjà mis en page sous la forme d’un arrêté, bilingue, où il ne manque plus que les signatures et quelques montants, est communiqué dans certains lieux pour tenter une opération de lobbying. Officiellement, nous ne l’avons pas reçu des pouvoirs publics. C’est une attitude hautement irresponsable et qui indique si besoin s’en faisait sentir le peu d’intérêt de l’Etat fédéral pour les représentants démocratiques du secteur (y compris le Conseil des Bibliothèques publiques).

Dans la présentation des rapports des Conseils, le directeur général de l’ADEB et de COPIEBEL, s’est adressé au Président du Conseil des Bibliothèques avant de débuter son rapport en disant : « Rassurez-vous, on vous a bien défendu dans ce dossier et, à mon grand dam, vous avez même obtenu beaucoup ! ». Nous n’avons pas besoin de la commisération des auteurs et des éditeurs. Nous sommes des gens responsables et capables, sans être des assistés, d’exposer, calmement, les problèmes que nous rencontrons dans ce dossier.

Par ailleurs, dans une note de la SCAM, nous apprenons que : « … Frédéric Young, délégué général de la SACD-SCAM en Belgique, participe très activement pour la Maison des Auteurs et Reprobel aux multiples négociations qui se tiennent actuellement pour réformer l’Arrêté royal relatif à la rémunération des auteurs et éditeurs pour le droit de prêt public. Il y défend une conception progressiste de ce droit … Il s’agit de défendre dans le même mouvement une bibliothèque publique de qualité, faisant une large place aux créateurs belges de toutes catégories d’œuvres, et l’obtention d’un revenu décent pour les auteurs… Ces négociations se déroulent à un rythme soutenu, et posent des questions épineuses dans un contexte budgétaire extrême. Dans ce contexte,… il est … essentiel de construire la solidarité entre tous les acteurs de la chaîne du livre… ». http://www.sacd.be/Pret-public-renforcer-la

Voilà des propos que nous pouvons partager, mais en oubliant de nous associer au débat, il ne faut pas espérer, de notre part, l’approbation pure et simple d’un texte déjà cadenassé par un an de négociations…