Avec Agnès Dumont, écrivain nouvelliste

Création et quotidien

Publié le 15 juillet 2014, par Sylvie Hendrickx


C’est au cœur de la Cité de Liège, à laquelle ses œuvres et son parcours sont intimement liés, que nous avons rencontré Agnès Dumont. Quand elle n’y enseigne pas la littérature aux futurs bibliothécaires de la Haute École provinciale, cette romaniste passionnée d’ateliers d’écriture se consacre à son genre de prédilection, la nouvelle. Après avoir écrit au fil des années de très nombreux récits isolés et souvent primés, c’est aux Editions Quadrature qu’elle a choisi de confier, depuis 2008, pas moins de trois recueils. A travers son métier d’enseignante comme au cœur de ses récits, Agnès Dumont invite, avec conviction, à puiser dans l’instantanéité des petits riens quotidiens, à cultiver l’imaginaire, à s’ouvrir au monde et à l’altérité.

S.H. D’où vous vient ce goût pour l’écriture de la nouvelle ?

A.D. Depuis toujours, j’ai été attirée par l’écriture quelle que soit sa forme mais j’ai un penchant particulier pour la nouvelle qui est sans doute dû, en partie, à deux types d’expériences. D’une part j’ai participé à de nombreux ateliers d’écriture qui, en privilégiant souvent la forme brève, constituent déjà un petit chemin vers la nouvelle. D’autre part, je me suis tournée assez tôt vers des concours qui représentaient pour moi l’assurance d’être lue par des inconnus et de recevoir un retour concret sur mon écriture. Ces concours m’ont encouragée à poursuivre dans l’écriture de ce genre dont j’apprécie par ailleurs les nombreux possibles.

S.H. Quels genres de possibles ?

A.D. La nouvelle est un genre exigeant et riche dont la forme brève peut engendrer des effets très particuliers. Idéalement, celle-ci permet de laisser un grand espace de liberté au lecteur par des non-dits, des éléments uniquement suggérés, autour desquels l’imaginaire du lecteur peut se déployer. C’est également un genre qui peut avoir des vertus pédagogiques  : avec des étudiants qui n’ont pas toujours un goût immodéré pour la littérature, la nouvelle permet de se pencher, malgré tout, sur des textes complets.

S.H. Vos trois recueils ont été publiés aux Editions Quadrature, c’est une belle reconnaissance quand on sait que cette maison n’édite que quelques titres par an.

A.D. Oui, il s’agit d’une équipe de huit personnes réunies en asbl, ce qui leur permet des choix sans concession. Ils se consacrent exclusivement à la publication de nouvelles, une niche étroite donc mais qui les rend incontournables pour ce domaine en Belgique. J’avais remarqué au fil du temps que plusieurs de mes nouvelles, dont certaines avaient été primées, présentaient une sorte de fil rouge. En 2008, je les ai proposés en recueil. C’était le début de l’aventure.

S.H. Vos recueils présentent-ils toujours cette cohérence ?

A.D. Effectivement, j’aime qu’une thématique vienne créer une unité au sein de mes recueils, sans pour autant que celle-ci ne devienne trop « enfermante ». Dans mon premier recueil, Demain je franchis la frontière , chaque personnage est amené à traverser une frontière symbolique, qu’il s’agisse d’un évènement, un vieillissement, une révélation, qui fait basculer son quotidien banal. Mon second recueil, J’ai fait mieux depuis , met en scène des personnages un peu délaissés ou mal aimés en quête de reconnaissance. Et dans Mola mola , paru l’an dernier, les personnages sont chacun confrontés à une vedette, un héros tiré du domaine sportif, de la littérature, des séries, dont la référence s’impose dans leur vie de façon tantôt discrète tantôt violente.

S.H. Vous évoquiez le rôle déterminant des ateliers d’écriture dans votre prédilection pour l’écriture de nouvelles. Qu’en est-il aujourd’hui ?

A.D. Je fréquente toujours les ateliers d’écriture car ceux-ci constituent une stimulation très intéressante. Parfois, il y a un retour de l’animateur sur notre écriture qui nous fait progresser. Mais même dans les cas où l’animateur ne propose pas ce retour, je viens chercher en ces lieux le partage et « la parenthèse enchantée ». Dans une vie active d’enseignante, de mère de famille, fréquenter les ateliers d’écriture, c’est s’octroyer le luxe d’un travail d’écriture sans dérangement extérieur. Je ne conserve pas toujours ce que j’y écris mais quelquefois naissent au cours de ces ateliers des idées qui vont nourrir d’une manière ou d’une autre mes futurs recueils.

S.H. Vous arrive-t-il d’en animer ?

A.D. J’ai suivi la formation d’Eva Kavian pour devenir moi-même animatrice et un projet se met justement en place pour que j’en anime à la bibliothèque des Chiroux à Liège dans le cadre de la prochaine Fureur de lire. Mais jusqu’ici cette formation m’a surtout servi dans mon métier d’enseignante. Je réalise ce type d’ateliers avec mes étudiants en Communication qui ont besoin de travailler tant leur imaginaire que leur maîtrise de la langue. L’enseignement pousse en effet trop rarement du côté de l’imaginaire, vers des écrits ludiques. Or, les étudiants sont souvent très surpris des textes qu’ils arrivent à produire...

S.H. Vous enseignez également la littérature à de futurs bibliothécaires. Que souhaitez-vous leur transmettre en priorité ?

A.D. Les cours de littérature étant souvent très théoriques, je suis particulièrement attentive à aller malgré tout vers du professionnalisant. Cela passe notamment par le fait de recevoir en classe des auteurs pour familiariser mes étudiants avec ce type de rencontre. Je trouve important que ces futurs médiateurs du livre soient formés en littérature contemporaine, notamment celle de notre pays. Lorsque mes étudiants présentent des œuvres belges sous forme de travaux oraux, je les incite toujours, s’ils ont choisi un auteur vivant, à tenter la rencontre avec lui, ne serait-ce que par courrier, pour en rendre compte à la classe. Il s’agit de leur montrer que les auteurs sont bien souvent plus accessibles qu’on ne le croit et que la rencontre d’un écrivain est toujours un beau tremplin vers la lecture. Je suis moi-même très ouverte en tant qu’auteure à ce genre de démarche.

S.H. Quelle place occupe la lecture dans votre vie ?

A.D. La lecture est tout à fait nécessaire à mon écriture. Je lis dans deux directions, d’une part les lectures qui s’imposent à moi pour mes cours, pour les Travaux de fin d’études que je supervise et, enfin, mes lectures personnelles ; la littérature étant pour moi une véritable clé du bonheur.

S.H. Y a-t-il des livres ou des auteurs qui vous accompagnent plus particulièrement ?

A.D. Dans ce domaine, il n’y a que l’embarras du choix, je suis très éclectique. Un classique ? Proust avant tout, une lecture très marquante qui m’a véritablement enthousiasmée ! Mon dernier coup de cœur « violent » ? La romancière Zoé Valdés. Un livre « culte » ? Le Colosse de Maroussi d’Henry Miller. Et puis Jean-Paul Dubois, David Lodge, William Boyd, Xavier Hanotte et de nombreux romans policiers, de tous les styles, de tous les pays et de toutes les époques avec une pensée émue pour Henning Mankell, actuellement malade.

S.H. Vos nouvelles trahissent ce goût prononcé pour le roman policier.

A.D. Cet univers des romans policiers me plaît en effet énormément. Il est vrai que mes personnages en sont souvent eux-mêmes friands et que mes premiers textes tiraient vers la nouvelle policière. Je pense que cela vient de l’enfance et de ses premiers plaisirs de lecture : Le Club de cinq par exemple avec son petit goût de mystère. Puis les classiques du genre : Agatha Christie, Maurice Leblanc… Cette attirance s’est encore renforcée en découvrant les excellents auteurs d’aujourd’hui, plus diversifiés et proposant des personnages auxquels on peut davantage s’identifier. Je pense notamment à Kurt Wallander de Mankell, particulièrement humain dans ses failles. Les romans policiers actuels me semblent aussi refléter pas mal de problèmes de société et offrir un regard assez interpellant sur notre monde d’aujourd’hui.

S.H. Des personnages avec des failles, qui nous ressemblent… C’est ce que vous proposez dans vos nouvelles.

A.D. Effectivement, mes histoires se construisent davantage autour des personnages que d’une intrigue qui serait préexistante dans ma tête. Leur psychologie propre les amène à agir, à poser des actes et m’interdit de prendre certaines directions. Les lieux m’intéressent également particulièrement car les personnages sont pour moi indissociables du milieu qui les voit naître et évoluer. J’aime que ces endroits prennent chairs par la sonorité de noms de rues ou de cafés, par quelques régionalismes…

S.H. Ce lieu qui prend chair dans vos nouvelles, c’est le plus souvent la ville de Liège.

A.D. Oui, c’est le lieu où j’habite, mes personnages sont quotidiens et la ville m’est proche. J’y suis attachée par mon histoire personnelle bien sûr mais il y a également des aspects intrinsèquement liés à cette ville que j’aime, notamment son côté multiculturel. Le mélange des cultures, des générations qui s’y côtoient, surtout dans certains quartiers, m’apparait une richesse, une couleur qu’on ne trouve peut-être pas partout. Le « bien vivre ensemble » avec l’ouverture aux cultures différentes me tient particulièrement à cœur, même en dehors de l’écriture. Que mes personnages aient une approche de la multiculturalité me semble une dimension incontournable dans le monde d’aujourd’hui, et je m’en réjouis.

S.H. Liège, une ville d’écrivains ?

A.D. Les écrivains sont effectivement nombreux à Liège. Nous avons formé récemment un petit groupe qu’on appelle pour le moment le CEL « Collectifs des Ecrivains Liégeois ». Ce collectif qui en est à ses balbutiements a notamment pour objectif d’obtenir une visibilité un peu plus grande au moyen d’un site internet en cours de construction avec la ville. Celui-ci devrait fournir des informations sur les différents auteurs à destination notamment des enseignants, des bibliothécaires et de tout autre partenaire associatif qui souhaiteraient organiser des rencontres d’auteurs.

S.H. Avez-vous d’autres projets ?

A.D. Je n’écris pas quotidiennement car mon emploi du temps ne me le permet pas mais, dans ma tête, j’ai toujours une histoire en cours, j’écris sans écrire, j’envisage des choses… Le roman pourquoi pas ? Je suis moi-même une grande lectrice de roman. Mais pour l’instant je trouve tout à fait mon compte dans la nouvelle, avec son univers resserré, son écriture moins longue dans le temps, elle convient mieux à mon mode de vie actuelle. Les nouvelles sont pour moi des bulles d’oxygène, une compagne de voyage.

Propos recueillis par Sylvie Hendrickx
Liège, le 13 mars 2014

Les coups de cœur artistiques d’Agnès Dumont

* Musique

« S’il faut choisir, je dois avouer que je suis particulièrement sensible aux textes, j’aime les chansons qui, comme les nouvelles, créent une atmosphère ou racontent une histoire en peu de mots : Philippe Djian écrivant pour Stephan Eicher, notamment Déjeuner en paix, Bernard Lavilliers… ce sont des auteurs qui m’accompagnent depuis l’adolescence ou presque. »

* Film

« Le premier qui m’ait vraiment marquée : Le Molière d’Ariane Mnouchkine, qui faisait un lien entre littérature et cinéma, reconstituait une époque, avec un Philippe Caubère magistral dans le rôle-titre. Plus récemment : La Vie des autres avec le regretté Ulrich Mühe. »

* Peinture

« Je suis allée à Vienne il y a deux ans et j’ai été très séduite par Klimt, Schiele et toute la production des sécessionnistes… J’aime aussi leur devise : À chaque époque son art. À l’art sa liberté. »

* Livre

« Le roman Café Nostalgia de Zoé Valdès a été un de mes derniers chocs de lecture suffisamment violent pour s’apparenter à un coup de foudre. J’ai été touchée par cette écriture comme par les thèmes : l’exil non volontaire, la recherche identitaire. J’ai consacré la nouvelle En attendant Zoé à ma rencontre avec cette auteure à la Foire du livre. »